Vision du Monde est une ONG de solidarité internationale qui intervient dans plus de 100 pays pour répondre aux besoins des enfants vulnérables. Les plus fragilisés, ce sont ceux et celles qui n’ont accès ni à l’eau ni à l’hygiène élémentaire, les filles mariées trop tôt et trop vite sans en avoir le choix ou encore les enfants en état de malnutrition qui ne peuvent bénéficier de soins basiques. Lorsqu’on ajoute à tout ceci un environnement géopolitique troublé voire des populations vivant sous les bombes, la vulnérabilité des enfants atteint des extrêmes. Vision du Monde se fait fort de les soutenir et de leur offrir une vie meilleure. Rencontre avec Camille Romain des Boscs, directrice générale de l’association.

La crise de l’eau est là. Les ONG l’anticipaient depuis un moment mais les médias français l’abordent seulement aujourd’hui parce que nous sommes directement impactés. 2 milliards de personnes en 2023 sont exposées dans le monde à la pénurie d’eau potable et aux maladies hydriques afférentes […] Maintenant qu’il y a prise de conscience, il ne faut pas se décourager, des solutions existent. Il est grand temps d’agir. Une première action consiste déjà à stopper notre surconsommation d’eau et ainsi préserver cette ressource en choisissant par exemple dans le secteur agricole des cultures moins gourmandes en eau ou en faisant davantage appel à l’agroforesterie, dans l’industrie minière en rationalisant l’utilisation de l’eau, optimisant ses coûts de traitement et valorisant les eaux perdues. Faire évoluer nos modèles pour avoir une consommation raisonnable est aujourd’hui nécessaire, vital même.

Vision du Monde fait partir du partenariat World Vision International. Elle est la 1ère ONG de parrainage d’enfants au monde avec pour objectif de venir en aide aux plus vulnérables. Elle est aussi le premier fournisseur non gouvernemental d’eau potable, pouvez-vous nous parler de vos missions ?

Vision du Monde fait partie d’une fédération internationale créée il y a 70 ans maintenant, présente dans une centaine de pays. La mission de notre association qui fêtera l’année prochaine ses 20 ans d’existence, consiste à venir en aide aux enfants les plus vulnérables pour leur permettre d’avoir la chance de vivre pleinement leur vie ; c’est-à-dire non seulement leur permettre de satisfaire leurs besoins primaires mais également de développer leurs talents.

Pour cela nous mettons en place soit :

  • Des projets de long terme d’aide au développement dans des contextes assez stables (accès à l’eau potable, à une bonne alimentation, aux soins médicaux de base, à l’éducation). Projets qui supposent en parallèle la mise en place d’une aide pour développer les ressources financières des familles afin d’éviter le travail infantile.
  • Des aides d’urgence humanitaire en contexte instable (catastrophes naturelles, conflits, pandémies…). Nous sommes ainsi présents notamment en Ukraine, en Afghanistan, au Venezuela pour venir en aide aux Caminantes – ces migrants qui quittent le Venezuela à pied pour la Colombie voisine.

Enfin Vision du Monde fait partie intégrante de l’organisation World Vision International avec laquelle nous coordonnons nos propres actions de plaidoyer sur de multiples problématiques en faveur des enfants vulnérables (accès à l’éducation, à l’eau potable…). Le plaidoyer peut s’effectuer au niveau international mais aussi beaucoup au niveau local où il consiste à faire en sorte que certaines normes sociales qui génèrent de l’injustice et/ou de la violence sur les enfants soient revues (mariages d’enfants, mutilations génitales…) avec en filigrane l’évolution des droits des enfants.

Plus concrètement, comment s’organisent vos programmes à long terme ?

Notre première approche consiste à être à l’écoute des gens. Nous prenons un an parfois même deux pour réaliser un audit permettant de collecter des informations et recenser les besoins dans les zones qui nous semblent devoir bénéficier de notre intervention. Nous expliquons ensuite comment va se dérouler notre soutien puis établissons avec les équipes locales un plan d’actions priorisant les problématiques.

L’eau et l’assainissement font partie des enjeux les plus souvent soulevés pour améliorer les conditions de vie des familles les plus fragiles. En la matière, nous nous positionnons à la fois sur des éléments très concrets comme l’adduction, le stockage, la distribution ou encore la mise en place de comités de gestion de l’eau chargés d’intervenir en cas de panne mais avons aussi vocation à être « aiguillon » pour les instances locales en les orientant vers les bons choix de développement. Nous sommes là pour montrer à l’État ce qui peut être fait et ce qui doit être fait.

Nous ne nous contentons pas de construire et financer des infrastructures (creuser des puits sur les forages, construire des sanitaires ou des cantines dans les écoles), nous accordons également une grande importance au transfert de compétences en impliquant les locaux et les familles dans la réalisation des projets que nous mettons en place. Rendre les communautés autonomes est la seule manière d’assurer un avenir meilleur aux générations futures.

En ce qui concerne nos financements maintenant, ils proviennent essentiellement de ce formidable levier de développement qu’est le parrainage d’enfant.  Au-delà de permettre à un enfant d’avoir le soutien d’un parrain, la collecte des fonds issue du parrainage est mutualisée et réinjectée dans des projets bénéficiant à toute la communauté.

Induite par les dérèglements climatiques qui ont brisé son cycle, par notre « surconsommation vampirique » et non durable des ressources hydriques planétaires, par les défauts d’assainissement et les inégalités d’accès aussi dans certains pays en développement, la crise mondiale de l’eau est imminente selon l’ONU. 1 personne sur 4 est aujourd’hui privée d’eau potable. Les défis dans le domaine sont donc nombreux, quels sont vos engagements sur le sujet ?

L’eau fait partie de nos sujets prioritaires et majeurs. Vision du Monde s’engage d’ici à 2030 à donner accès à l’eau potable à toutes les personnes en précarité hydrique bénéficiant de nos programmes. Nous estimons que les problèmes liés à l’eau non potable et à l’hygiène peuvent être résolus dans les prochaines décennies. C’est pourquoi, nous avons investi plusieurs millions d’euros au niveau mondial afin de permettre un accès à l’eau potable et à l’hygiène à l’ensemble des communautés pour lesquelles nous travaillons. Nos engagements portent en la matière sur l’accès à l’eau mais aussi sa préservation, sa distribution et son assainissement dans le but de réduire la propagation des maladies et les violences qu’engendre son absence de gestion.

Nous faisons également partie des associations lanceuses d’alerte lors   de la Journée Mondiale de l’Eau instituée par l’ONU visant à sensibiliser à une gestion durable des ressources en eau et à accélérer le changement pour résoudre la crise de l’eau et de l’assainissement. De grandes choses peuvent être réalisées lorsque nous travaillons tous ensemble.

Êtes-vous positive sur l’utilisation et la gestion de l’eau au niveau mondial dans les années à venir ? Quels sont selon vous les mécanismes à mettre en place en urgence pour parvenir à contourner ou à défaut atténuer les effets de la crise ?

Oui et non. La crise de l’eau est là. Les ONG l’anticipaient depuis un moment mais les médias français l’abordent seulement aujourd’hui parce que nous sommes directement impactés. 2 milliards de personnes en 2023 sont exposées dans le monde à la pénurie d’eau potable et aux maladies hydriques afférentes. Concomitamment les sécheresses à répétition comme celles que l’on voit apparaître dans la Corne de l’Afrique (Kenya, Éthiopie, Somalie) représentent un véritable fléau. Sévérité des sécheresses et manque d’eau provoquent un cercle vicieux : plus rien ne pousse, le bétail meurt, les populations locales n’ont donc plus rien à manger, n’ont plus de revenus avec pour conséquence l’augmentation du travail des enfants.

Paradoxalement, se profile le phénomène inverse d’inondations meurtrières comme celles observées en Afghanistan ou au Pakistan générant des effets collatéraux dramatiques (pertes humaines, destructions d’infrastructures, glissements de terrain, systèmes de télécommunications et d’approvisionnement en eau fortement endommagés ou détruits, retour de maladies en tout genre …).

L’augmentation de phénomènes climatiques extrêmes met vraiment à mal des centaines de milliers de personnes sur la planète et en particulier les enfants. Le sujet est de taille, le challenge mondial.

Maintenant qu’il y a prise de conscience, il ne faut pas se décourager, des solutions existent. Il est grand temps d’agir. Une première action consiste déjà à stopper notre surconsommation d’eau et ainsi préserver cette ressource en choisissant par exemple dans le secteur agricole des cultures moins gourmandes en eau ou en faisant davantage appel à l’agroforesterie, dans l’industrie minière en rationalisant l’utilisation de l’eau, optimisant ses coûts de traitement et valorisant les eaux perdues. Faire évoluer nos modèles pour avoir une consommation raisonnable est aujourd’hui nécessaire, vital même.

Parlez-nous de la force du plaidoyer chez Vision du Monde, sur quels sujets portent vos campagnes de sensibilisation auprès des instances publiques ? Avez-vous l’impression d’être écoutés a minima d’être entendus ?

Le plaidoyer fait indéniablement bouger les choses. L’association a la chance d’appartenir à un réseau et donc de bénéficier de la force de ce réseau. Nous agissons en collaboration avec d’autres ONG pour défendre un plaidoyer commun qui finit par porter ses fruits et nous faire entendre. Pour vous dire, nous avons contribué, l’année dernière, à faire modifier plus de 600 politiques publiques en faveur des enfants vulnérables en 2 millions d’actions de plaidoyer à travers 42 pays.

En matière de sensibilisation, la fédération World Vision International a mené ces dernières années une grande campagne mettant l’accent sur les violences faites aux enfants (en focalisant sur des chiffres et des faits, en impliquant les enfants suivis aussi) qui a fait bouger les choses.

Nous sommes également très présents sur tous les enjeux relatifs à la malnutrition et la faim dans le monde. Nous portons haut et fort ces sujets à travers un plaidoyer efficace et impactant.

Comment interagissez-vous avec des ONG comme CARE International ou Plan International qui elles aussi mettent en œuvre des programmes pour venir en aide aux enfants les plus vulnérables, avez-vous des programmes communs ? Complémentaires ?

Nous travaillons en effet en partenariat avec d’autres ONG au travers d’instances de rencontres que nous créons de manière assez naturelle dans les pays que nous couvrons. Ces instances nous permettent de partager nos expériences, nos difficultés, nos enjeux communs et de nous assurer de ne pas faire doublon mais d’agir en complémentarité. Nous mettons en place des projets communs aussi financés par un même bailleur qu’est l’Agence Française de Développement. Par exemple, en ce moment, Vision du Monde réalise en partenariat avec CARE International un projet en faveur des femmes en République démocratique du Congo. Dans le cas de programmes communs, les ONG se répartissent le projet soit en fonction de la géographie, soit en fonction des compétences de chacun pour un même territoire.

A titre informatif, 90% des travailleurs humanitaires de Vision du Monde sont des locaux qui peuvent être salariés, volontaires ou bénévoles.

Enfants enrôlés dans l’armée, mariages forcés en échange d’argent, privation d’éducation, ces situations sont encore fréquentes à travers le monde. Pour un trop grand nombre d’enfants, grandir relève d’un combat. Quel état des lieux faites-vous des droits des enfants dans le monde et de le leur respect ? Quels sont les progrès constatés depuis ces dernières années ?

Alors que l’extrême pauvreté reculait dans le monde depuis plusieurs décennies, la tendance s’est largement inversée depuis la crise du Covid-19. Aujourd’hui, des millions de nouvelles personnes se retrouvent à vivre sous le seuil d’extrême pauvreté établi par la Banque mondiale, victimes collatérales des différents confinements. On observe dans nos programmes une très grande paupérisation dans certaines parties du monde : reprise du travail des enfants et des mariages forcés, augmentation des excisions, exploitation sexuelle, malnutrition endémique, multiplication des conflits… La liste est malheureusement longue alors que chaque enfant a le droit d’être protégé, nourrit, éduqué.

Ce recul des droits des enfants est alarmant et à prendre très au sérieux. Ces derniers ont fait les frais des efforts déployés pour répondre à la pandémie de Covid-19, notamment en ce qui concerne leur droit à l’éducation et sont aujourd’hui menacés par la réalité des changements climatiques.

Vous venez de sortir une campagne de communication choc très réussie intitulée « Comment montrer l’immontrable ? » visant à sensibiliser sur la situation de millions d’enfants confrontés à la mort et la souffrance partout dans le monde, parlez-nous de la genèse de ce projet ? A-t-il eu des répercussions positives ? 

Il était important pour nous de sortir une campagne sensibilisant de manière « choc » à la réalité de ce que vivent certains enfants dans le monde. Des millions d’enfants sont aujourd’hui dans des situations catastrophiques. A titre d’exemple plus de 8 millions d’enfants de moins de 5 ans risquent de mourir de malnutrition infantile en raison de la crise alimentaire.

Nous avons donc décidé avec notre agence de communication partenaire (Steve) de « montrer ce qui n’est pas montrable », de « dire ce qui n’est pas dicible », sur des questions telles que la faim non pour vivre mais survivre, les conflits impactant directement les enfants ou encore les violences sexuelles auxquelles ont à faire face certains d’entre eux (mariages forcés, grossesses précoces, excisions…).

Cette campagne a été ponctuée d’encouragements et surtout de remerciements dont nous sommes très fiers.

Comment intervenez-vous dans les régions du monde les plus sensibles politiquement parlant, quelles sont les difficultés voire dangers auxquels vous devez faire face et comment les contournez-vous ?

Sachant que notre mission consiste à aider les enfants les plus vulnérables et que la vulnérabilité est liée à un mille-feuilles de difficultés, nous vivons la dangerosité en permanence. On estime que d’ici 2030, 80 % des personnes les plus pauvres au monde vivront dans des endroits extrêmement dangereux pour les enfants, c’est-à-dire des endroits où les enfants feront l’objet de violences physiques, sexuelles et/ou émotionnelles (zone de conflit, territoire menacé par le dérèglement climatique, exploitation sexuelle, travail forcé, châtiments corporels). Faire face au danger fait donc partie de notre ADN. Face à ce danger, notre mobilisation reste sans faille. Éthiopie, Ukraine, Afghanistan, République Centre Africaine, République Démocratique du Congo… nous couvrons des pays en guerre intra ou extra étatique. Si nous avons la chance de bénéficier de la confiance des populations locales qui nous fournissent des informations essentielles permettant de limiter les risques malheureusement parfois il nous arrive de perdre des collaborateurs victimes de bombardement ou d’exécution.

Il faut savoir également que les ONG doivent en permanence trouver un juste équilibre entre celles qui agissent mais se taisent pour que les gouvernants des pays ciblés les laissent intervenir, et celles qui dénoncent via le plaidoyer mais n’accèdent plus aux territoires.

Dans un contexte complexe et dangereux, les ONG comme Vision du Monde doivent avoir le courage d’être auprès des plus vulnérables envers et contre tout. C’est leur leitmotiv.

D’où proviennent vos différentes ressources financières ?

Nous collectons en France un peu plus de 11 millions d’euros issus à 93% de la générosité du public. Le reste provient du mécénat, des fondations, des entreprises et de fonds publics.

En parlant de générosité du public a-t-elle progressé ces dernières années ? Est-elle satisfaisante selon vous ?

Tout à fait. Pour Vision du Monde en tout cas elle est restée stable. Nous avons aujourd’hui plus de 26.000 parrains et marraines qui nous permettent d’assurer aux familles aidées un soutien sur un temps long. Toutefois on a observé depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine et l’arrivée de l’inflation dans un contexte économique instable que l’engagement pérenne sur un don récurent est de plus en plus difficile. Après il existe une autre forme de générosité qu’est le don d’urgence qui lui ne fléchit pas.

Parlons du Don en Confiance, de quelles manières l’association encourage-t-elle ses organisations labellisées à évoluer ? Qu’est-ce que l’accompagnement des contrôleurs du Don en Confiance apporte à votre organisation ?

Le Don en Confiance encourage ses associations labellisées à s’inscrire dans un processus d’amélioration continu et de recommandations extrêmement sain. Les échanges réguliers, sans être intrusifs, permettent d’aborder certaines questions sous des angles nouveaux et la dernière revue nous a permis de clarifier des points précis. C’est un regard extérieur précieux, nourri de la connaissance des autres organisations et qui permet ainsi de trouver les meilleures solutions à des sujets donnés. Les échanges sont constructifs et efficaces, nous apprécions l’apport du Don en Confiance tant au niveau des équipes opérationnelles que du Conseil d’administration.

Le Don en Confiance place le donateur au centre de sa démarche. Est-ce que votre organisation s’en sert de levier, comme d’une fierté ?

Absolument ! Nous sommes en effet très fiers d’avoir été labellisés. Nous avons le devoir moral d’utiliser au mieux les fonds qui nous sont confiés. Avec cette labellisation, nous garantissons à nos donateurs la destination et l’utilisation des fonds collectés. Ils savent en toute transparence que leur argent servira à la juste cause qu’ils ont choisi de défendre.

Une actualité à nous soumettre ?

Depuis des années Vision du Monde développe des programmes de préservation des ressources naturelles (eau, arbres…) essentielles pour nous attaquer aux causes profondes de la pauvreté et mener à bien notre mission. Nous avons d’ailleurs en la matière mis au point avec un de nos collaborateurs australiens une approche nommée RNA (Régénération Naturelle Assistée), pratique agroforestière qui consiste à laisser au cours du défrichement (en saison sèche ou en saison des pluies) un à trois rejets issus des souches des différents arbres et arbustes (entre 20 à 100 pieds à l’hectare selon les espèces) pour qu’ils poursuivent leur croissance.

La Régénération Naturelle Assistée (RNA) permet de reconstituer des écosystèmes entiers en 3 ans. Elle induit également le retour de l’eau par capillarité qui reste dans les sols. Lorsque la végétation reprend ses droits, ce sont les animaux qui peuvent ensuite revenir pâturer. En perdant leurs feuilles, les arbres donnent à la terre une matière organique qui fertilise les sols et profite à la faune : un véritable cercle vertueux source d’amélioration des rendements agricoles.

Cette technique a été mise au point il y a une trentaine d’années au Niger. Elle a permis de faire repartir des centaines de milliers d’hectares dans ce pays et a été dupliquée dans plein d’endroits du monde avec un réel succès. Elle est considérée aujourd’hui comme une réponse pertinente face aux enjeux de reforestation, de lutte contre le changement climatique et de reconstitution d’écosystèmes entiers que Vision du Monde porte dans plusieurs pays dont en ce moment le nord du Ghana.

En savoir plus sur la Régénération Naturelle Assistée

Anne Bideau - Directrice générale de Plan International

Organisation Non Gouvernementale (ONG) de solidarité internationale qui œuvre pour un monde plus juste et durable, Plan International met en place dans plus de 80 pays des programmes visant à faire progresser les droits des enfants (en particulier ceux des filles) ainsi que l’égalité filles-garçons. En cette Journée internationale des droits des femmes, Anne Bideau, la Directrice générale de Plan international France, aborde le travail réalisé, ce qu’il reste encore à faire et avertit sur l’importance de rester mobilisés pour permettre l’accès des enfants à l’éducation. Rencontre avec une femme de conviction.

Les droits sont encore trop menacés et bafoués dans beaucoup de pays. Quasiment tous en réalité – même si les degrés sont différents – au regard des violences sexistes et sexuelles que l’on constate sous nos climats. Notre réelle inquiétude se porte toutefois sur le recul des droits des filles dans le monde suite à la pandémie. Les indicateurs au niveau macro sont mauvais. Il y a encore dans le monde chaque année 12 millions de filles mariées de force. Cette violence immédiate extrêmement forte prive les intéressées d’un avenir et les contraint au renoncement. Les chiffres de l’excision également ainsi que ceux des grossesses précoces sont très inquiétants, d’autant que depuis l’épidémie l’accès aux services de santé a régressé. Il ne faut pas oublier que si pour nous aujourd’hui la crise de la Covid 19 semble gérable, beaucoup de pays n’ont pas eu la chance de bénéficier de la vaccination et d’un système de santé résilient, ou de filets de sécurité socio-économiques.

Plan International est une ONG qui œuvre pour faire progresser les droits des enfants dans le monde, pouvez-vous nous présenter vos missions et vos combats ?

Anne Bideau : Plan International a été fondée en 1937 pendant la guerre civile d’Espagne par un journaliste britannique, John Langdon-Davies, qui après avoir rencontré un jeune garçon apeuré, seul et sans ressources dans les rues dévastées de Santander a pris conscience de l’impact de la guerre sur les enfants, et s’est mis à organiser l’évacuation de centaines d’enfants menacés par ce conflit. Depuis l’association a évolué mais elle est restée centrée sur cette mission de protection des droits des enfants avec en filigrane l’idée de leur permettre quel que soit le contexte dans lequel ils grandissent de pouvoir s’épanouir, étudier, faire des choix pour leur vie future.

Parallèlement, Plan International a très vite intégré le fait que les filles faisaient l’objet d’obstacles particuliers au cours de leur existence ; ces dernières étant victimes de formes de violence et d’exclusion qui leur sont propres. Nous portons donc une attention spéciale aux droits des filles dans nos interventions, notamment au fait qu’elles puissent accéder aux droits qui sont les leurs dans les textes mais qui ne sont pas forcément respectés dans la réalité.

Quels sont vos pays d’intervention et comment les choisissez-vous ?

Anne Bideau : Le réseau international est présent dans 84 pays choisis en fonction des besoins humanitaires et du niveau de pauvreté, mais aussi des violences ou discriminations qui peuvent exister. Nous regardons les conditions d’intervention d’organisations de la société civile présentes sur le territoire pour leur apporter un soutien. Nous sommes là pour accompagner et non pour décider et faire à leur place.
L’actualité aussi va dicter notre intervention. En 2022 par exemple, nous avons ouvert des programmes en Moldavie, en Pologne, en Roumanie et en Ukraine liés à la crise actuelle avec la conscience réelle que les besoins de protection des enfants vont perdurer.

En 2022, 244 millions de jeunes âgés de 6 à 18 ans ne vont toujours pas à l’école (400 millions en 2010). L’objectif d’une éducation de qualité pour tous d’ici 2030 est-il atteignable? Quelles sont les actions à mettre en place en priorité pour l’atteindre ?

Anne Bideau : Il est atteignable mais demande une mobilisation de tous les acteurs, en premier lieu desquels les États qui doivent mettre en œuvre les moyens et les politiques nécessaires pour permettre l’accès des enfants à l’éducation.

D’un autre côté, les acteurs de la société civile ont un rôle essentiel à jouer pour convaincre les familles de l’importance de la scolarisation de leurs enfants avec à la clé l’avenir de leur communauté.

La mobilisation collégiale repose donc non seulement sur la mise en place de structures, d’institutions, de réseaux d’enseignant·e·s compétent·e·s et formé·e·s dans les écoles mais aussi sur ce fameux travail de fond auprès des familles pour les convaincre que la scolarisation est une priorité qui permettra à leurs enfants de s’insérer dans le tissu socio-économique local et d’accéder à un emploi stable et durable.

Certaines régions accusent des disparités énormes en matière de parité filles-garçons dans l’accès à l’éducation, parlez-nous de ces inégalités. Pouvez-vous nous dire également quelles sont les régions les plus impactées ?

Anne Bideau : Les inégalités sont très diverses dans les faits. Elles dépendent de facteurs liés aux crises que rencontrent certains pays (guerre, catastrophe naturelle, changement climatique…) auxquels s’ajoute parfois un contexte politique, économique ou culturel délétère. Tout cela a des conséquences sur l’accès à la scolarisation.

Ces dernières années, nous avons tous et toutes constaté l’impact qu’a pu avoir le confinement lié à la pandémie planétaire générant un net recul de l’accès à l’éducation. Sachant que déjà dans les pays occidentaux l’accès à l’éducation a été suspendu pendant un temps trop long quitte à accélérer les retards pédagogiques, on peut facilement imaginer les dégâts sur les élèves dans un système scolaire n’ayant pas les ressources nécessaires pour mettre en place l’éducation à distance. La déscolarisation de certain·e·s n’a pas forcément été suivie d’une rescolarisation, notamment chez les filles qui ont eu tendance à être mariées ou mises sur le marché du travail pour assurer des revenus familiaux.

La pandémie a infléchi les courbes de scolarisation mondiale tant et si bien que nous nous retrouvons aujourd’hui dans une situation critique où les droits bafoués des enfants et la pauvreté en général menacent la vie de millions de personnes et mettent en danger le futur de toute une génération.

Il est difficile de vous dire quels sont les pays les plus concernés, cela résulte du croisement de facteurs socio-culturels traditionnels avec les circonstances extérieures qui vont avoir un impact extrêmement fort sur les conditions de vie et de scolarisation.

Comment intervenez-vous dans les régions du monde les plus inégalitaires et quelles sont les difficultés voire dangers auxquels vous devez faire face notamment dans des pays comme l’Afghanistan où les filles ne sont même plus autorisées à fréquenter les écoles et les universités ?

Anne Bideau : Plan International n’intervient pas en Afghanistan mais pour répondre à votre question, notre force repose sur les liens que nous tissons depuis de nombreuses années avec les organisations formelles ou informelles de la société civile et les communautés des pays que nous couvrons. Nous travaillons vraiment en nous appuyant sur ces structures locales (y compris dans des contextes complexes comme l’Ethiopie ou certaines zones du Sahel) sans nécessité de présence physique pour mettre en œuvre les programmes. Ce maillage très fin nous permet donc d’agir même quand les conditions sécuritaires se dégradent.

Par ailleurs, nous avons des process de contrôle et de monitoring assez robustes qui nous permettent de nous assurer que les activités sont menées conformément à nos objectifs.

Quel état des lieux faites-vous des droits des filles dans le monde ?

Anne Bideau : Les droits sont encore trop menacés et bafoués dans beaucoup de pays. Quasiment tous en réalité – même si les degrés sont différents – au regard des violences sexistes et sexuelles que l’on constate sous nos climats. Notre réelle inquiétude se porte toutefois sur le recul des droits des filles dans le monde suite à la pandémie. Les indicateurs au niveau macro sont mauvais. Il y a encore dans le monde chaque année 12 millions de filles mariées de force. Cette violence immédiate extrêmement forte prive les intéressées d’un avenir et les contraint au renoncement. Les chiffres de l’excision également ainsi que ceux des grossesses précoces sont très inquiétants, d’autant que depuis l’épidémie l’accès aux services de santé a régressé. Il ne faut pas oublier que si pour nous aujourd’hui la crise de la Covid 19 semble gérable, beaucoup de pays n’ont pas eu la chance de bénéficier de la vaccination et d’un système de santé résilient, ou de filets de sécurité socio-économiques.

Ces deux dernières années ont donc eu un impact disproportionné sur les femmes et les filles. La violence domestique est en hausse, la précarité de l’emploi s’est aggravée pour les femmes, l’accès aux services de santé sexuelle a été battu en brèche, l’inscription des filles à l’école a chuté dans de nombreuses zones. Ce sont celles qui étaient déjà les plus marginalisées qui ont le plus souffert. Le bilan est donc alarmant. Tant que les filles n’auront pas conscience de leurs droits, elles ne les revendiqueront pas et nous sommes là pour leur faire comprendre qu’elles ont ces droits. Faire changer le regard que porte la communauté sur les filles aussi, la façon dont elles occupent l’espace public, favoriser les relations entre les filles et les garçons relèvent de nos missions. Nos programmes ne sont jamais dirigés que vers les filles. Nous prenons soin d’y impliquer les garçons et les familles avec pour objectif de provoquer le dialogue, de faire changer les mentalités et de favoriser l’émancipation des filles.

La Journée internationale des droits des femmes trouve son origine dans les manifestations de femmes au début du XXe siècle, en Europe et aux États-Unis, réclamant de meilleures conditions de travail et le droit de vote. C’est en 1977, lors de l’Année internationale de la femme, que l’Organisation des Nations Unies a commencé à célébrer la Journée internationale des femmes le 8 mars. Quelle est l’importance selon vous de cette journée fêtée depuis près de 50 ans maintenant ? A-t-elle conduit à des améliorations majeures ?

Anne Bideau : La journée internationale des droits des femmes est pour moi essentielle, elle permet de rappeler chaque année l’importance du combat mené pour que les femmes accèdent à leurs droits en France et dans le monde.

A-t-elle permis pour autant d’atteindre des résultats ? C’est assez difficile à mesurer. Ce qui est sûr c’est qu’elle participe à un mouvement global qui consiste à se rappeler qu’aujourd’hui l’égalité femmes-hommes n’est pas du tout acquise dans l’application du droit et dans le vécu quotidien des femmes (sphère privée et professionnelle incluses) partout dans le monde. Qu’il faut donc continuer à lutter, ensemble pour que les droits des femmes soient respectés.

Et c’est pour ça d’ailleurs que la Journée internationale des droits des filles du 11 octobre créée par les Nations Unies sous l’influence de Plan international est également essentielle à nos yeux. Nous sommes convaincu·e·s que respecter le droit des femmes commence d’abord par le respect de ceux des filles.

Comment Plan international intervient-elle dans le cadre de cette journée ?

Anne Bideau : En soutenant les associations féministes avec lesquelles nous travaillons partout dans le monde. Nous profitons également de cette journée pour faire une campagne de sensibilisation auprès du public en rappelant qu’il reste beaucoup de choses à faire pour défendre les droits des femmes et des filles en France et ailleurs.
Enfin l’équipe de Plan International France participe à la manifestation pour montrer son engagement indéfectible.

Que pensez-vous du mouvement #MeeToo qui a contribué à encourager la prise de paroles des femmes ayant été victime de harcèlement ou d’abus sexuels ? A-t-il selon vous eu un impact majeur sur la dénonciation de toutes formes de violences faites aux femmes ?

Anne Bideau : Absolument. Il a permis de libérer la parole des femmes un peu partout dans le monde. C’est impressionnant de voir à quel point les violences sexistes et sexuelles vécues honteusement ont enfin pu être exprimées. Toutes les violences misogynes du quotidien aussi, avant banalisées par des images ayant façonné notre vision des rapports homme-femme, ne sont plus du tout tolérées grâce à ce mouvement. Cela a dû être ressenti comme une libération personnelle pour beaucoup de femmes. Et c’est tant mieux lorsque l’on voit l’étendue du phénomène dans nos sociétés révélant qu’il nous faut être extrêmement attentif·ve·s afin de prévenir, et ce dès le plus jeune âge.

A cet égard, Plan International fait de l’éducation à la sexualité et de la lutte contre le sexisme une priorité dans les programmes qu’elle met en œuvre. Il s’agit d’aborder ces violences de manière très précoce en instaurant des espaces de dialogue et de compréhension entre filles et garçons pour espérer les faire diminuer à l’âge adulte. Faire en sorte aussi que lorsque des enfants (fille ou garçon d’ailleurs) sont confrontés à des situations de violences sexistes, ils soient en mesure de les identifier et donc de demander de l’aide.

Que répondez-vous à ceux ou celles d’ailleurs qui pensent que le mouvement va trop loin. A ceux et celles qui reprochent à #MeeToo une confusion entre « dénonciation » et « délation », de contourner la voie juridique au profit du « tribunal médiatique » ?

Anne Bideau : Je leur répondrais que tout mouvement qui entraîne des changements majeurs de société peut présenter quelques excès. Cela n’enlève rien à la force du mouvement en lui-même qui en mettant un coup de projecteur sur les violences sexistes nous ébranle dans nos représentations des relations femmes-hommes qu’elles soient professionnelles ou intrafamiliales.
On observe actuellement un retour de bâton réactionnaire ou « backlash » qui demande vigilance, mais in fine le mouvement a changé nos sociétés et permis un exceptionnel bond en avant dans les mentalités. Grâce à lui, il y a fort à parier que beaucoup de jeunes femmes grandiront dans un environnement plus sain et plus protecteur désormais. Le processus n’est pas achevé bien sûr, mais il est inexorable, et on ne peut que se réjouir de cette prise de conscience générale.

On entend beaucoup aujourd’hui « plutôt que de protéger vos filles, éduquez vos garçons » ? Que pensez-vous de cette déclaration ?

Anne Bideau : J’y adhère totalement mais en ce qui me concerne j’y ajouterais « éduquez vos filles et vos garçons ensemble ». Il est important de sensibiliser les garçons à l’égalité de genre en les faisant dialoguer avec les filles afin qu’ils construisent ensemble la société de demain.

Enseigner respect et tolérance à ses enfants est sans doute la clé mais comment est-ce possible dans une famille dysfonctionnelle et violente, lorsque l’on sait qu’en France une femme meurt encore tous les trois jours sous les coups de son compagnon ? Doit-on compter sur l’éducation intrafamiliale pour changer les lignes ou plutôt compter sur l’évolution des mœurs sociales ?

C’est un tout auquel on doit ajouter l’éducation nationale qui dans le domaine de la lutte contre les violences faites aux femmes et de l’éducation à la sexualité des jeunes n’est encore franchement pas à la hauteur. Les enseignant·e·s, plutôt en demande de formation et d’accompagnement sur ces sujets, trouvent pour l’instant peu écho faute de moyens. Pouvoir parler des rapports sociaux, du respect, du consentement relèvent de l’école. Elle a un rôle central à jouer en plus d’être un potentiel espace de signalement pour des enfants élevés dans un univers familial violent. Ces enfants ont besoin d’une oreille attentive et d’accompagnement pour se sortir de leur mal être. L’école pourrait être cet espace sécure.
Enfin l’éducation populaire (associations culturelles, artistiques, sportives…) qui vise à faire évoluer les individus en dehors des cadres d’apprentissage traditionnels a également un rôle à jouer pour changer les lignes et favoriser le respect mutuel entre les garçons et filles, les hommes et femmes de demain.

Quelles sont les priorités de Plan International pour améliorer la condition des femmes et quels sont selon vous les principaux leviers individuels et politiques pour y parvenir ?

Anne Bideau : Pour que les filles puissent accéder à leurs droits, il faut qu’elles soient en mesure de prendre des décisions. Pour prendre des décisions, il faut qu’elles comprennent les choix qui leur sont posés. Pour qu’elles comprennent les choix, il faut qu’elles apprennent. Le premier levier est donc sans aucun doute l’éducation, la formation professionnelle, l’insertion socio-économique des filles et des femmes qui doit être accompagné par un dialogue avec les communautés pour faire évoluer la situation sur l’égalité de genre. Faire changer le comportement et le regard portés sur les filles est un combat majeur pour Plan International.

Pour sensibiliser les pouvoirs publics nous faisons appel au plaidoyer. Sur le sujet, nous agissons en lien avec le réseau Plan International afin d’influencer les espaces de décisions internationaux tels que l’ONU, l’Union Européenne, le G7, le G20 ou encore les grandes conférences internationales. Nous partageons notre expérience et nos recommandations avec les décideur·euse·s politiques, en France, en Europe et à l’international, à travers la production et la diffusion de rapports ou de documents de positionnement, et l’organisation d’événements. Enfin, nous agissons avec des partenaires locaux pour amplifier notre action. Dans le cadre des programmes au sein des communautés, le plaidoyer va être moins institutionnel mais va se faire avec les décideur·euse·s (leaders communautaires, religieux ou encore autorités locales) pour rappeler la nécessité de faire respecter le droit, de le faire appliquer et décliner dans leur législation en instaurant des décrets d’application. Plan International accompagne et agit vraiment sur l’intégralité de la chaîne car nous sommes convaincus que sans cela rien ne peut marcher. A cet égard l’année dernière, sous notre influence et celles de nos partenaires les Philippines ont interdit le mariage des enfants. C’est une belle victoire.

De manière plus militante notre ONG se fait fort de faire connaître leurs droits aux filles afin qu’elles puissent elles-mêmes aller interpeller les décideur·euse·s localement et se battre pour engager les autres filles à faire bouger les lignes.

D’où proviennent vos différentes ressources financières ?

Anne Bideau : Les ¾ de nos ressources sont issues de la générosité du public soit de façon régulière essentiellement via le parrainage soit par le biais de dons, notamment lors des situations d’urgence. Le reste provient d’entreprises, de fondations, de bailleurs publics aussi (le principal étant l’Agence Française de Développement) qui vont financer des projets précis de développement.

La labellisation Don en Confiance a-t-elle contribué à améliorer la générosité du public ?

Anne Bideau : Il est difficile d’en mesurer l’impact mais nous sommes particulièrement sensibles à la confiance que nous accordent nos donateurs et donatrices et être labellisée est un gage de Confiance. Les contrôleurs du Don en confiance viennent avec leur expertise évaluer nos pratiques, regarder la manière dont nos flux financiers sont organisés assurant à notre ONG une crédibilité concrète auprès du public.

Quel chemin parcouru depuis votre labellisation ?

Anne Bideau : Au-delà du contrôle, l’avantage des échanges avec le Don en Confiance consiste à nous interroger sur nos pratiques, à identifier des points de vigilance que nous n’aurions pas forcément pris en compte sans l’intervention de l’organisme. Cette démarche, fruit d’une volonté de la gouvernance, engagée en 2011, nous a permis au fil du temps de nous améliorer sur des sujets aussi variés que la communication financière, la gestion financière ou comptable, l’intérêt d’avoir des politiques de réserve… Être labellisée par le Don en Confiance est donc essentiel et fait aujourd’hui partie de notre ADN.

Pour finir, parlez-nous de votre actualité ?

Anne Bideau : Nous sommes sur différents sujets :

  • La campagne du 8 mars dans le cadre de la journée internationale des droits des femmes dont nous avons parlé un peu plus haut.
  • Le retour auprès de nos donateurs et donatrices de tout ce que Plan International a effectué comme action en Ukraine depuis 1 ans avec leur soutien, et de tout ce qu’il nous reste à faire.
  • Le renforcement de nos programmes dans les pays fortement touchés par la crise alimentaire et/ou en proie à des dérèglements climatiques majeurs. Il ne s’agit pas ici forcément de distributions alimentaires mais plus de s’assurer que les enfants dans les écoles bénéficient au minimum d’un repas par jour. L’accès à une nutrition correcte mais aussi l’accès aux services de santé, aux infrastructures d’eau et d’assainissement restent un défi pour de nombreuses familles et communautés surtout dans les zones d’extrême pauvreté. Plan International compte renforcer son engagement à leurs côtés afin de garantir la survie des enfants, préalable indispensable à la réalisation de leur potentiel.


Le Don en confiance préconise spécifiquement aux associations et fondations à but non lucratif faisant appel public à la générosité de réaliser chaque année un Essentiel. C’est un document d’information clair, synthétique et pédagogique destiné au grand public. Il décrit en quelques pages ce qu’est l’organisation, ses principales réalisations de l’année, l’ensemble des fonds reçus, leur origine et leur utilisation, en particulier ceux provenant de la générosité du public, et le cas échéant les principaux écarts par rapport aux années précédentes, ainsi que les événements significatifs intervenus dans l’année. 

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Selon les dernières statistiques de Plan International, 132 millions de filles restent non scolarisées aujourd’hui dans le monde. « Toutes à l’école » est une ONG qui œuvre pour la scolarisation des petites et jeunes filles au Cambodge afin que chacune d’entre elles ait la même chance que son frère de se bâtir un avenir prometteur. En les accompagnant depuis le primaire jusqu’à leur premier emploi, « Toutes à l’école » offre une éducation de haut de niveau à ces filles, qui seront les mères de demain et sauront ainsi transmettre le meilleur à leurs enfants. Rencontre avec Véronique Darasse, directrice générale.

Le Cambodge est un pays particulier qui a subi un génocide perpétré par les Khmers rouges jusqu’en 1979. Le fait d’avoir décimé ses élites, ses intellectuels et l’intégralité de son système éducatif a rendu l’intervention d’ONG nécessaire au Cambodge. Elles ont grandement participé à la reconstruction du système éducatif. L’action des ONG est fondamentale dans l’éducation en général et dans celle des filles en particulier. Nous avons connaissance de programmes similaires en Afrique ou Asie, qui sont très pertinents et participent sans aucun doute à cette progression de la scolarisation dans le monde.

« Toutes à l’école » est une ONG créée par Tina Kieffer, ancienne journaliste, aujourd’hui présidente de l’association, parlez-nous de l’origine du projet…

Véronique Darasse : Tina Kieffer a raconté la genèse de son projet dans un livre intitulé Une déflagration d’amour. Elle y explique les circonstances qui l’ont amenée à créer cette école à l’époque de son voyage au Cambodge en famille, en période de Noël, dans le cadre de sa fonction de directrice de la rédaction du magazine Marie-Claire. Elle s’est alors retrouvée face à la réalité du terrain, au cœur même d’un orphelinat de la banlieue de Phnom Penh où elle a rencontré une petite fille qui l’a émue et qu’elle a tout de suite voulu adopter. Cette adoption a été un véritable parcours du combattant, mais, une fois réalisée, Tina a ressenti le besoin d’aider toutes les autres petites filles pauvres en leur offrant une chance d’accéder à l’éducation grâce à la création d’une école.

Pourquoi le choix des filles exclusivement, pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

V.D : Au Cambodge, beaucoup de filles ne vont pas à l’école car elles sont bien souvent obligées de travailler dès le plus jeune âge afin de contribuer aux revenus de la famille. Heureusement, la société cambodgienne évolue peu à peu, mais aujourd’hui seules 12% des Cambodgiennes passent le bac. Et comme le souligne fréquemment Tina : « Une mère adulte une fois éduquée sauve la génération suivante ». J’adhère totalement à cette maxime. A titre personnel, en tant que mère de trois garçons, je sais à quel point une mère instruite éduque ses enfants de manière différente. La mère « transmettrice » va former les générations suivantes, véhiculer des valeurs fortes et au final avoir un impact considérable sur la progression sociale.

Le Cambodge est un pays pauvre et traditionnel mais ce n’est pas un pays où la situation des femmes est particulièrement grave, comme en Afghanistan. Si les filles ne vont pas à l’école, ce n’est pas pour des raisons culturelles ou religieuses, c’est pour des raisons économiques. C’est donc la mission principale de « Toutes à l’école » : scolariser des petites filles et soutenir leurs familles dans cette démarche d’émancipation.

L’association gère aujourd’hui une maternelle et une école primaire bilingues, un collège, un lycée dans la banlieue de Phnom Penh et deux foyers pour étudiantes post-bac dans la capitale… Comment s’organise la vie scolaire dans vos établissements ?

V.D : Une fille qui rentre en maternelle aujourd’hui s’engage dans un parcours scolaire qui va durer treize ans, de la maternelle jusqu’au baccalauréat. Le recrutement des fillettes s’effectue majoritairement dans un périmètre de 8 kilomètres, même si nous sommes amenés de plus en plus à recruter dans des poches de pauvreté plus éloignées encore. Ce développement nous a ainsi conduit à créer deux internats réservés en priorité aux élèves qui ont trop de temps de transport ou à celles qu’il faut protéger. Car au-delà de sa mission éducative, il faut savoir que notre campus propose un suivi médical et social des élèves. Nous sommes là aussi pour prévenir les violences de toute nature que peuvent subir les jeunes-filles admises dans nos établissements. Dans le domaine de la maltraitance ou de l’abandon, nous gérons au cas par cas et faisons face à des situations très variées (violences familiales, perte prématurée des parents…) L’internat permet aux élèves de se ressourcer, de progresser, d’évoluer dans un environnement de travail et affectif adapté.

Pour rebondir sur la prise en charge des situations douloureuses et l’intégration des filles dans vos internats, comment gérez-vous les fratries ?

V.D : Nous proposons un programme pour les garçons à différents niveaux avec :

  • l’octroi de bourses aux familles afin de permettre à leurs fils d’avoir accès à l’école publique,
  • l’ouverture aux petits frères de nos espaces de jeux, nos équipements sportifs ainsi que nos salles d’informatique,
  • l’accueil des frères le samedi ou le mercredi dans nos locaux afin de vérifier qu’ils ont acquis les fondamentaux (lire, écrire, compter) avant leur entrée au collège. Leur présence est également l’occasion de leur offrir un repas le midi.
Combien de personnes employez-vous pour combien de bénéficiaires ?

V.D : Le campus emploie 300 personnes pour 1300 bénéficiaires, 1700 en incluant les étudiantes post-bac. Chaque niveau compte 4 classes de 25 élèves, donc 100 élèves par niveau.

Êtes-vous satisfaits du taux de réussite ? Parlez-nous de vos plus beaux succès ?

V.D : Grâce à notre programme scolaire de haut niveau, nous obtenons chaque année 100% de réussite au brevet des collèges tout comme au baccalauréat. Quand l’intégralité de notre première promotion d’élèves inscrites a obtenu le bac en 2018, nous étions époustouflées car le taux de réussite au Cambodge se situe plutôt aux alentours de 66%. Être parmi les meilleures écoles du Cambodge nous rend fiers de nos élèves issues de la grande pauvreté. Une fois leur baccalauréat obtenu, nos élèves intègrent l’un de nos deux foyers d’étudiantes à Phnom Penh afin de suivre leurs études post-bac. Certaines poursuivent même leurs études à l’étranger. Nous avons également eu la chance dans la dernière promotion d’avoir deux élèves, Panha et Srey Ka, excellentes en mathématiques, qui ont passé le concours d’entrée à l’INSA Lyon et l’ont décroché. Elles viennent d’intégrer cette école d’ingénieur pour cinq ans. Notre modèle scolaire favorise les séjours à l’étranger. Ainsi, depuis 2018, nous avons développé un partenariat avec le lycée international de Saint-Germain-en-Laye au sein duquel deux de nos élèves ont effectué leur classe de seconde. Cette année, c’est le lycée international de Saint-Denis à Loches, près de Tours, qui accueille Nimul et Srey Khuoch. Ces cursus permettent à nos filles de revenir sur le campus motivées et performantes, bilingues anglais-français, et de jouer le rôle d’ambassadrices de la réussite pour leurs camarades. Une autre de nos élèves, Ngim, est venue suivre une formation d’un an en France à l’invitation de l’Institut Marangoni, école de mode très réputée. Ce cursus s’est prolongé par un stage de six mois chez Kenzo. Une véritable chance lorsqu’on connaît le coût de ces études. Et aujourd’hui, Ngim travaille toujours pour Kenzo en free-lance.

Comment recrutez-vous vos professeurs ? Bénéficient-ils d’une formation spécifique ?

V.D : Pour être enseignant en primaire au Cambodge, il faut avoir fait l’Institut National d’Education (INE), l’équivalent de nos Ecoles Supérieures du Professorat et de l’Education (ESPE/ex-IUFM). Nos instituteurs ont donc tous fait l’INE, et travaillent à mi-temps à l’école publique.  En revanche, pour enseigner dans le secondaire, il faut avoir un master, ce qu’ont donc tous nos professeurs. Enfin, pour les cours de langues, nous faisons appel à des native speakers francophones, anglophones ou chinois.

Quelles sont vos ressources financières ?

V.D : « Toutes à l’école », c’est environ 5 millions d’euros de collecte par an qui proviennent à 55% de fonds privés, à 33,5% de ressources collectées et à 10% de legs, donations et assurances-vie. Notre mission sociale se réalise majoritairement au Cambodge, où le coût global du projet coûte environ 3 millions et demi. Nous ne disposons d’aucun financement public, ni en France, ni au Cambodge, et nos fonds proviennent pour moitié des parrainages, qu’ils soient individuels ou d’entreprises, ainsi que de dons ou de projets financés par les entreprises et les fondations. Notre modèle repose sur un principe de parrainage. Chaque élève dispose de 4 parrains qui financent l’intégralité de sa scolarité. Les parrains viennent parfois sur place pour rencontrer leurs filleules, passer une journée à l’école, rendre visite à la famille et faire des dons alimentaires.

Vous avez obtenu le label Don en Confiance en 2011, pourquoi avoir fait le choix de cette labellisation ?

V.D : Il était déterminant pour nous de dire à nos donateurs qu’ils pouvaient donner en toute confiance. Cette confiance n’est rendue possible que par la diffusion d’informations en toute transparence. Le label Don en Confiance est pour eux extrêmement rassurant.

Avez-vous vu le reportage d’Elise Lucet intitulé Entreprises, mécénat, associations : les liaisons dangereuses, qui entre autres sujets soulignait de potentiels dysfonctionnements du Don en Confiance, remettant par la même en cause la valeur du label ? Si oui, qu’en avez-vous pensé ? A titre personnel qu’a apporté le Don en Confiance à votre association depuis votre adhésion aux principes de la Charte ? 

V.D : Bien sûr que je l’ai regardé. C’est mon travail. Objectivement, nous avons trouvé cette émission très à charge pour les ONG et risquant de faire du tort à l’ensemble du secteur au moment où la générosité est fragilisée par l’actualité. Ce reportage n’a nullement entamé notre confiance vis-à-vis du Don en Confiance. Labellisés depuis onze années, nous avons largement eu le temps de nous rendre compte à quel point les contrôleurs, par un travail de fond, nous ont permis de progresser. Nous ne pouvons que les remercier pour toutes les zones de vigilance sur lesquelles ils nous ont alertés.

De quelles manières, le Don en Confiance encourage ses organisations labellisées à évoluer ?

V.D : L’affectation d’un contrôleur bénévole pour une durée de trois ans nous encourage et nous permet de nous concentrer sur des sujets majeurs (nos procédures de contrôle interne, la sécurisation de la propriété de nos terrains au Cambodge, notre politique de réserve…) auxquels nous n’aurions pas nécessairement pensé seuls. Pour finir, il participe largement par son accompagnement et ses conseils à nous faire progresser en permanence.

« L’éducation est un droit et nous devons tout faire pour nous assurer que ce droit est respecté pour chaque enfant », a affirmé la directrice générale de l’Unesco, Audrey Azoulay. En 2000, plus de 400 millions d’enfants n’allaient pas à l’école. En 2022, ce sont 244 millions de jeunes âgés de 6 à 18 ans qui ne vont toujours pas à l’école. Le progrès est donc considérable. Quelle est la part des ONG dans ce progrès et selon vous quels sont les facteurs à observer pour qu’il s’accroisse encore ?

V.D : En ce qui nous concerne, le Cambodge est un pays particulier qui a subi un génocide perpétré par les Khmers rouges jusqu’en 1979. Le fait d’avoir décimé ses élites, ses intellectuels et l’intégralité de son système éducatif a rendu l’intervention d’ONG nécessaire au Cambodge. Elles ont grandement participé à la reconstruction du système éducatif. L’action des ONG est fondamentale dans l’éducation en général et dans celle des filles en particulier. Nous avons connaissance de programmes similaires en Afrique ou Asie, qui sont très pertinents et participent sans aucun doute à cette progression de la scolarisation dans le monde.

L’objectif d’une éducation de qualité pour tous d’ici 2030 – fixé par les Nations Unies dans un rapport de l’Unesco publié à 3 semaines du sommet « Transformer l’éducation », qui s’est tenu en septembre 2022 – est-il atteignable ?

V.D : Je l’espère ! Nous avons déjà parié dessus en offrant une éducation de grande qualité à des petites filles pauvres au Cambodge. Eduquer les enfants pauvres fait indéniablement avancer un pays. Ces enfants sont réceptifs, travailleurs, motivés à apprendre pour s’émanciper mais aussi pour aider leurs familles et leur nation.

Quels sont les facteurs d’amélioration selon vous pour que l’on tende vers une égalité d’accès à l’éducation en termes de parité fille-garçon ?

(Sourire.)
V.D : Nous, nous avons su y répondre en axant notre modèle sur la scolarisation des filles, élément essentiel de leur accès à l’autonomie économique et enjeu majeur de développement.  Avoir décidé de suivre ce modèle est peut-être déjà une réponse, non ?

En termes de projets futurs, pensez-vous plus largement étendre vos actions à d’autres pays d’Asie limitrophes connaissant les mêmes problématiques (Vietnam, Laos, Philippines…) ?

V.D : Nous n’avons absolument pas la capacité à lever autant de fonds que nécessaires pour dupliquer notre modèle. Nous préférons améliorer notre école en favorisant de nouveaux programmes d’envergure, comme le fait de permettre à nos élèves post-bac d‘accéder à des formations bilingues anglais dispensées au sein d’universités de qualité. C’est pourquoi l’une de nos priorités consiste aujourd’hui à proposer à tous les niveaux de classes un enseignement bilingue. Nous avons commencé l’année dernière par la maternelle, cette année, nous l’étendons à la classe de CP. C’est un travail qui nous emmènera jusqu’à l’année scolaire 2033-34, qui sera l’année de notre première promotion de bachelières bilingues. Tina nourrit toutefois le rêve de rencontrer une fondation qui accepterait de sécuriser notre projet et éventuellement financer sa duplication. C’est une excellente idée, bien sûr, mais aujourd’hui nous n’en sommes pas capables.

Une actualité à nous soumettre ?

V.D : « Toutes à l’école » poursuit son virage green déjà amorcé depuis 2015. Nous avons créé un grand champ de permaculture qui a permis de sensibiliser nos élèves contre l’usage dramatique des pesticides au Cambodge. Nous devenons une école engagée pour le développement durable et la transition écologique, notamment avec la mise en place du Zéro plastique (collecte de plastique autour de l’école, récupération du plastique domestique). Nous avons également posé notre candidature pour obtenir le label Green School.

Aujourd’hui, nous intégrons la crise climatique dans nos matières enseignées. Nos élèves animent des éco-comités pour réduire l’usage du plastique et transmettre à la communauté les gestes permettant de sauvegarder l’environnement. 

Parce qu’« éduquer les filles, c’est aussi sauver la planète», nous préparons nos bachelières à tous ces nouveaux métiers émergeants.

Le Don en confiance préconise spécifiquement aux associations et fondations à but non lucratif faisant appel public à la générosité de réaliser chaque année un Essentiel. C’est un document d’information clair, synthétique et pédagogique destiné au grand public. Il décrit en quelques pages ce qu’est l’organisation, ses principales réalisations de l’année, l’ensemble des fonds reçus, leur origine et leur utilisation, en particulier ceux provenant de la générosité du public, et le cas échéant les principaux écarts par rapport aux années précédentes, ainsi que les événements significatifs intervenus dans l’année. 

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