Paroles d’organisation

Philippe Lévêque – Directeur général de CARE France

Fondé en 1945, CARE est l’un des plus grands réseaux d’aide humanitaire au monde, apolitique et non confessionnel, dont l’objectif est de lutter contre l’extrême pauvreté et de défendre les droits humains. En 2020, CARE a aidé près de 92,3 millions de personnes à sortir de la pauvreté et des violences.  Rencontre avec Philippe Lévêque, directeur général de CARE France, un des 14 membres de l’association humanitaire.

Il peut y avoir différentes raisons pour lesquelles les médias ne s’intéressent pas à une crise. La première étant que parfois la crise dure depuis trop longtemps et finit par ne plus faire l’objet d’aucune attention, typiquement la famine récurrente dans le sud de Madagascar qui n’attire plus aucun regard. Les Malgaches souffrent en silence sans que ce sujet ne ressorte dans la presse. La deuxième peut être liée à l’inaccessibilité de la zone, comme dans certaines régions de Centrafrique où la dangerosité du lieu détourne la prise de parole. Les deux combinées, dans un pays qui souffre en silence, sans trop de violence, sans qu’aucun étranger ne soit égorgé, les médias ne jugent pas opportun d’en parler.

Depuis 75 ans, CARE apporte une aide vitale aux populations frappées par la pauvreté, les injustices et les violences. Combattre l’injustice semble être le leitmotiv de l’ONG mais qu’est-ce que l’injustice ?

CARE est le fruit d’un mouvement de solidarité qui est né aux USA à la fin de la 2ème guerre mondiale ayant pour but d’apporter de l’aide en Europe et en Asie aux populations dévastées. Le mouvement est arrivé chez nous au Havre en 1946, le port du Havre étant à l’époque le seul ouvert au trafic civil sur le continent. Il s’agissait d’aide alimentaire. Aujourd’hui CARE est un grand réseau international. Le vocabulaire a bien évidemment évolué depuis les débuts passant d’un lexique que je qualifierais de « compassionnel » à un lexique plus axé sur les causes que sur les symptômes. Dans une guerre la cause est facile à comprendre. En revanche sur le plan de l’extrême pauvreté – celle qui touche à notre dignité – la cause est le résultat d’une injustice économique et sociale beaucoup moins palpable. Bien sûr l’ONG continue d’accomplir des missions d’urgence qui se rapprochent de celles de 1945 (notamment au Yémen ou en Syrie) mais nos missions mettent de plus en plus l’accent sur la protection des droits des femmes et des filles touchées par cette notion d’injustice, sur la justice environnementale aussi.

Il n’y a pas de causes naturelles à la pauvreté. Les causes sont presque toujours le fruit de nos systèmes économiques et sociaux. Voilà pourquoi CARE utilise de nos jours le langage de « l’injustice » pour travailler sur les causes structurelles de la pauvreté.

Quels sont selon vous les principaux leviers individuels et politiques pour tenter de la combattre ?

Les leviers individuels reposent sur la conscientisation, l’information et la compréhension. La relation à l’autre doit inclure la notion d’empathie pour pouvoir se projeter un minimum dans sa souffrance. S’inclure dans ces schémas passe forcément par de l’information, de l’éducation et la prise de conscience que nous sommes dans un monde global et resserré. Prise de conscience qui conduit souvent d’ailleurs vers un engagement comme le bénévolat ou le don financier. Chacun d’entre nous peut avoir un rôle à jouer. Si vous êtes bénévole ou que vous donnez, c’est que vous êtes sensible aux causes. Il n’y a pas de cause meilleure qu’une autre. Il existe juste un ensemble de causes qui méritent attention.

L’engagement peut aussi se traduire par un geste politique. Très souvent les organisations qui ont une dimension droit humain ou un langage tourné vers la notion d’injustice vont demander à leurs sympathisants et adhérents de manifester ou de signer une pétition si nécessaire. Politiquement c’est le nombre qui permettra de peser sur les gouvernements. L’engagement avec les grandes entreprises ou les gouvernements est fondamental pour une ONG comme la mienne.

CARE France est l’un des 14 membres de l’association humanitaire CARE International fondée en 1945. Parlez-nous des champs d’actions de CARE France, quelles missions couvrez-vous et dans quels pays intervenez-vous ?

Nous sommes 14 membres en effet, bientôt 21. Notre réseau historiquement occidental (allant du Japon au Canada en passant par l’Australie et la Norvège) se transforme pour devenir un réseau plus mondial incluant des pays qui changent de statuts et passent de pays anciennement receveurs d’aides (comme l’Inde, le Pérou, la Thaïlande) à pays contributeurs. Ce mouvement de fonds facteur de remise en cause amène un nouveau paradigme basé sur des relations de pouvoir qui ne sont plus seulement l’apanage des « petits blancs » qui vont faire le bien ailleurs.

Pour exemple, CARE Inde recrute aujourd’hui en nouveaux donateurs par mois ce que CARE France recrute en 1 an. Bien sûr il s’agit de roupies mais dans 10 ans cette situation de plus en plus prégnante changera fondamentalement le rapport.

CARE est donc un réseau international de plus en plus global qui intervient dans une centaine de pays un peu partout sur la planète (Asie du sud, Afrique, Amérique latine).

En ce qui concerne CARE France maintenant, c’est une ONG généraliste qui agit dans une trentaine de pays, plutôt ciblée zone francophone, Moyen Orient et Amérique latine. Nous nous concentrons d’abord sur une cible : les femmes et les filles. Tous nos projets incluent ainsi une dimension transformative ou d’accompagnement sur la question des droits des femmes/filles. C’est une évolution qui a vu le jour dans les années 2000 partant du constat qu’il y avait divergence très forte entre les droits des hommes et les droits des femmes dans tous les pays. Nous ne sommes pas tous égaux face aux violences. Un conflit armé ou une catastrophe naturelle génèrent davantage de victimes chez les femmes que chez les hommes. Cela s’explique essentiellement par nos rôles sociaux. Par ailleurs nous avons pu constater qu’un programme de développement qui s’appuie sur les femmes (par exemple en micro-finance) a plus de chance de réussite qu’un programme qui s’appuie sur les hommes. Ce deuxième point toutefois me parle beaucoup moins car je le trouve instrumentaliste. Je préfère que nous prenions d’abord position sur l’égalité de droit avant de se dire qu’il vaut mieux axer nos programmes vers des projets conduits par des femmes, ces derniers ayant plus de chance de réussite.

Deuxième axe très transversal pour l’ONG :  la protection du climat et l’adaptation face aux dérèglements climatiques dont les premières victimes sont encore les femmes.

Comment interagissez-vous avec les autres membres. Comment vous complétez-vous ?

CARE est une confédération dans laquelle chacun est autonome. Nous fonctionnons un peu comme l’Union européenne ou les Nations Unies. Nous faisons les choses ensemble ou pas, il n’y a aucun caractère obligatoire. En revanche, le cadre programmatique stratégique (droit des femmes, climat, urgence…) est commun à tous les membres. Ainsi CARE France peut prendre la suite d’un projet conduit par un autre membre de CARE.

Nous partageons aussi une vision commune de la gestion de la marque ainsi que de la politique de relation aux donateurs. Notre politique consiste à divulguer auprès des donateurs une image positive de la cause sans victimisation à outrance.

Il nous arrive également de faire appel à des experts techniques venant d’un autre pays. Enfin, nous finançons en commun certaines opérations d’intervention d’urgence. Pour autant, chacun reste responsable de ses projets, de leur financement, de ses collectes auprès des donateurs, des ressources humaines. A la fin de l’année chacun doit avoir équilibré ses comptes.

Qui agit pour la cause sur le terrain ? Des bénévoles ou des permanents ?

Il n’y a pas de bénévoles sur le terrain et d’ailleurs je m’oppose à cette forme de bénévolat. Je n’enverrai jamais de bénévoles du nord dans un pays du sud, où rien que le billet d’avion pourrait faire vivre une famille pendant 1 an.  Il s’agit plutôt de créer de l’emploi local et de la rémunération sachant que l’on parle ici de très bas salaires. Nous n’avons pratiquement plus d’expatriés non plus (une vingtaine pour CARE France, 300 pour l’ensemble du réseau). Notre objectif consiste avant tout à développer les compétences locales.

De manière générale quels sont vos partenaires sur les différents projets menés ?

Les projets sont de moins en moins effectués en direct par les grandes ONG internationales sauf dans les contextes d’urgence. Beaucoup de territoires (comme la Syrie) présentent des conditions de sécurité très complexes. C’est pourquoi nous avons surtout besoin de compétences et partenaires locaux.

Pratiquement aujourd’hui tous les grands projets sont réalisés en consortium soit d’ONG internationales, soit de mise en œuvre de partenariats locaux. Pour exemple, une réponse COVID à Madagascar demande alliance entre Médecins du Monde, Handicap International, Action contre la Faim et CARE.

Chaque année depuis 5 ans maintenant CARE publie un rapport intitulé « suffering in silence » mettant en relief les 10 crises humanitaires les moins médiatisées de l’année précédente. La République centrafricaine figure dans le classement depuis cinq années consécutives. Madagascar et le Burundi ont fait partie quatre fois de la liste de CARE jusqu’à présent. A quoi attribuez-vous ces oublis médiatiques ? Est-ce parce que les causes semblent désespérées ?

Ce rapport a vocation à parler des médias aux médias. Ce n’est pas un rapport sur l’ampleur des causes mais juste sur le traitement médiatique accordé à ces causes. C’est d’ailleurs pourquoi il est très largement consulté par les médias. L’étude se base sur des algorithmes informatiques qui nous permettent en 5 langues de faire ressortir les publications web publiées sur tel ou tel sujet.

Il peut y avoir différentes raisons pour lesquelles les médias ne s’intéressent pas à une crise. La première étant que parfois la crise dure depuis trop longtemps et finit par ne plus faire l’objet d’aucune attention, typiquement la famine récurrente dans le sud de Madagascar qui n’attire plus aucun regard. Les Malgaches souffrent en silence sans que ce sujet ne ressorte dans la presse. La deuxième peut être liée à l’inaccessibilité de la zone, comme dans certaines régions de Centrafrique où la dangerosité du lieu détourne la prise de parole. Les deux combinées, dans un pays qui souffre en silence, sans trop de violence, sans qu’aucun étranger ne soit égorgé, les médias ne jugent pas opportun d’en parler. Bien évidemment ce manque de médiatisation ne peut qu’avoir des conséquences lourdes sur les populations, moins de visibilité engendrant moins d’appel aux dons, moins d’aides internationales et surtout moins de pression sur les gouvernements locaux, souvent largement critiquables.

Nous avons choisi de publier ce rapport pour souligner aux médias les conséquences que peuvent engendrer un tel silence. Pour autant, les choses ne changent pas et c’est dommage.

Le plaidoyer fait partie intégrante de la vision de CARE qui en a d’ailleurs fait un manuel, vers quelles causes majeures se dirigent vos discours et qu’est-ce qui selon vous rend le plaidoyer efficace ?

Le plaidoyer doit s’appuyer sur des faits et ne pas être idéologique. Nous ne sommes pas une ONG de militants. Notre mission consiste surtout à apporter une information de terrain ayant valeur qui sera entendue par le gouvernement, les députés ou bien les entreprises. Pour cela il est nécessaire d’avoir un réseau, d’être tenace et de faire coalition avec des ONG en accord avec nos positions sur une situation via Coordination Sud ou France Générosités.

Il existe différentes formes de plaidoyers d’ailleurs : le plaidoyer sur le terrain bien sûr mais aussi le plaidoyer fiscal ou le plaidoyer légal.

Dans un réseau international, il est plus facile pour les acteurs du Nord que pour leurs collègues locaux de faire du plaidoyer sur des environnements difficiles, des causes peu populaires comme les injecteurs de drogues ou la répression des homosexuels dans certains pays africains. La dimension internationale aide évidemment à la prise de paroles.

Mais il y a d’autres endroits, comme au Sahel, où CARE ne prendra pas de position pour ne pas mettre en danger nos collègues sahéliens en première ligne sur le terrain et où il est devenu impossible d’envoyer des expatriés trop visibles.

Parmi les causes défendues par CARE il y a celle de l’égalité « femmes-hommes ». Le 8 mars 2019, Emmanuel Macron annonçait dans le cadre de la présidence française du G7, la création d’un fonds doté de 120 millions d’euros afin d’aider les mouvements en faveur des droits et de la condition des femmes, qu’en est-il aujourd’hui ? Le fonds existe-t-il réellement ? Si oui les montants vous semblent-ils suffisants ?

Le fonds existe en effet. Dans le cadre du G7 « Women » de juin 2019, CARE France et EQUIPOP ont été chargés de coordonner le « Women 7 » qui s’est tenu à l’UNESCO. Ce groupe d’engagement a mené des négociations portées par des gouvernements progressistes (France, Allemagne, Grande-Bretagne) auxquels d’autres faisaient obstacles (typiquement les USA de Trump). Au final, les tractations ont abouti sur l’annonce du fonds côté français et sur d’autres annonces internationales.

Aujourd’hui nous nous interrogeons surtout sur la provenance de ces fonds. Les 120 millions budgétés constituent-ils de l’argent neuf ou recyclé dont on a changé le label ? Nous sommes donc occupés à tracer chaque euro pour voir d’où il provient.

Quant au montant maintenant, il est insuffisant bien sûr mais nous partions de rien. L’arrivée d’Emmanuel Macron a modifié la trajectoire des aides publiques au développement de la France qui augmente à nouveau. Nous devrions cette année, en termes de pourcentage du PIB allant à l’aide publique au développement, nous retrouver au niveau de la dernière année de la présidence Chirac. Nous avons donc dû faire face à 10 années de recul avant de constater un mieux.

Quelles sont vos priorités pour améliorer les conditions des femmes ?

L’accès à l’éducation qui permet d’exercer le sens critique et aussi la transmission des biens en fin de vie. On assiste aujourd’hui (en Afrique essentiellement) au terme de vie de femmes de 50-55 ans qui ont réussi des choses absolument fantastiques en partant de rien en microfinance sans savoir parfois qui prendra la relève. Les questions de la propriété et de l’héritage sont donc fondamentales dans les années qui viennent.

Au milieu il y a aussi la reconnaissance des droits sexuels et reproductifs de ces femmes. Chacune doit pouvoir maîtriser son corps et le droit à le contrôler.

CARE intervient-elle également dans les pays occidentaux, par exemple aux USA sur le recul du droit à l’avortement ?

C’est un grand challenge pour la décennie qui vient car notre mandat original ne prévoit pas l’action dans nos propres pays. Ce point de vue me semble un peu daté. Les besoins sont partout c’est évident, même en Norvège ou en Suède. Toutefois il est important de ne pas se disperser et d’axer nos interventions sur nos domaines de compétence.

Autre cause importante pour l’ONG, la lutte contre le changement climatique, parlez-nous de l’impact du changement climatique sur la pauvreté ?

Les progrès reculent et c’est dramatique. Se retrouver en face de paysans producteurs d’ananas dans le Golfe de Guinée et leur dire que la culture doit évoluer car trop consommatrice d’une eau devenue rare, est délicat mais obligé. Mais leur faut-il passer pour autant au coton terriblement polluant ? Nous sommes ici dans l’adaptation et la conduite au changement de pratiques. Nous faisons face aussi à des migrations en masse, pour des raisons liées souvent au manque d’accès à l’eau, pas tellement dans les pays occidentaux qui pourtant s’en plaignent mais plutôt dans les pays du sud où se situe la majeure partie des réfugiés climatiques. Mais pour quelles opportunités ? Quel accès à l’éducation ? Quels revenus ? Ces sujets nous interpellent au plus haut point.

Notre mission consiste à faire de la prévention également. Par exemple à Madagascar, nous allons conscientiser puis aider les gens à replanter des mangroves pour les protéger des cyclones toujours plus puissants qui arrivent et frappent la côte Est. Notre intervention consiste non seulement à montrer l’intérêt d’un tel écosystème de marais mais aussi à le transformer en source de revenu (mise en place de fermes de coquillages, de crevettes ou d’alevins). Il est nécessaire d’expliquer que l’environnement a un prix et que ce prix peut être positif. C’est à cette condition que les gens prennent en charge la protection de l’environnement.

Quelles sont aujourd’hui vos recommandations pour restaurer une justice climatique ?

La première recommandation concerne déjà la modification de nos propres comportements, à savoir privilégier une consommation sobre. La deuxième consiste à renforcer le lobbying auprès de l’Etat et des grandes entreprises. On en revient donc à la notion de plaidoyer qui nécessite de participer aux négociations des COP afin d’influencer sur des thématiques fortes, pointer du doigt que c’est une question de droit humain.

D’où proviennent vos différentes ressources financières ?

Notre budget global se situe aux alentours de 40 millions d’euros. Les 2/3 proviennent des institutions (Agence Française de Développement, Union Européenne, Nations-Unies…), 10% provient des entreprises ou des fondations et 20% viennent de la générosité du public. Environ 100.000 foyers font des dons à CARE.

En parlant de la générosité du public justement a-t-elle progressé ces dernières années ? Est-elle satisfaisante selon vous ?

En ce qui concerne CARE, la générosité du public progresse tous les ans. Elle est aussi facteur de ce que l’on est capable d’investir en collecte de fonds. Or nous investissons beaucoup pour une raison dont mon conseil d’administration et moi-même sommes convaincus : l’indépendance de l’organisation, la liberté de ton et d’agir dépendent essentiellement des fonds privés. Les fonds institutionnels ou provenant des grandes entreprises sont parfois longs à obtenir et dirigés vers une opération précise. L’argent privé en revanche nous permet une action immédiate en situation d’urgence ou d’intervenir sur des causes non encore populaires. Par exemple, lors de l’explosion du port de Beyrouth et grâce aux fonds privés nous avons pu engager 100.000 euros sans délai.

La moyenne d’âge des donateurs de CARE est de 29 ans. Sans doute est-ce parce que l’organisation fait appel à la collecte de rue, le « face-to-face » qui recrute principalement chez les jeunes. Cette population est très exigeante en termes de plaidoyer et sensible à des causes bien précises. Notre positionnement sur des problématiques tels les grandes urgences humanitaires, les droits des femmes et les dérèglements climatiques parlent aux trentenaires.

Quel message souhaitez-vous faire passer aux pouvoirs publics pour la démultiplier ?

Nous avons déjà un système fiscal extrêmement généreux donc intervenir sur ce point ne me paraît pas nécessaire. En revanche le message à faire passer aux pouvoirs publics concerne essentiellement le potentiel allégement des charges administratives et bureaucratiques. Le nombre de contrôles, la « compliance », la bureaucratie rendent la tâche insupportable. Il faut aujourd’hui être sacrément motivé pour être président d’un conseil d’administration ou directeur général d’une ONG. Les pouvoirs publics ne le comprennent pas et restent ancrés dans une culture de la faute, de la responsabilité à charge, dans une prolifération bureaucratique hallucinante tant et si bien que le mille-feuille s’épaissit encore et encore. Nous n’avons donc pas besoin de déduction fiscale supérieure mais juste qu’on nous laisse effectuer notre travail dans de meilleures conditions !

La labellisation Don en Confiance a-t-elle contribué selon vous à améliorer la générosité du public ?

Pour nos donateurs réguliers, le label est un facteur important. Et notamment, pour les donateurs âgés qui sont souvent multi-causes.
Je pense que la labellisation est un élément de rassurance très important à la fois pour les donateurs et pour le grand public. Elle sécurise également mon Conseil d’administration qui y voit un facteur de progression interne. Quand le contrôleur du Don en Confiance s’exprime, il y a de notre part, une qualité d’écoute incontestable.

Pouvez-vous m’énoncer des arguments que vous donneriez pour motiver une organisation à adhérer aux exigences de la Charte de déontologie du Don en Confiance ?

J’en identifie 4.
Tout d’abord, le Don en Confiance nous permet de progresser car il y a souvent de nouveaux défis à relever ! Le label nous invite à nous remettre en cause et à revoir notre fonctionnement. C’est en cela que le Don en Confiance apporte une démarche de progression.
Ensuite, pour les nouveaux adhérents, la capitalisation des trente années d’expériences des autres organisations labellisées est un gain de temps considérable dans l’apprentissage des bonnes pratiques de déontologie. Toutefois, il faut avoir l’humilité de vouloir apprendre !
Et puis, la mise en place de ces règles et l’acquisition du label génère de la confiance dans la relation avec le donateur.
Enfin, le statut des contrôleurs du Don en Confiance qui sont bénévoles constitue une vraie valeur ajoutée dans un secteur où le bénévolat est la principale force vive.

En cette période de crise sanitaire internationale majeure, la pauvreté explose. Selon la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED) la pandémie risque d’entraîner 130 millions de personnes supplémentaires dans l’extrême pauvreté, que pensez-vous de cette déclaration ? Que constatez-vous à votre niveau de nouveau sur le terrain ?

Cette déclaration me paraît juste en effet. Il existe bien un monde d’avant et un monde d’après plus pauvre. Pour la première fois l’extrême pauvreté a et va encore progresser avec un taux d’évolution qui reste encore à déterminer. Une carte issue d’un article publié dans le The Economist indique que les vaccinations ne se feront à grande échelle dans les pays les plus pauvres qu’en 2023, présageant un temps considérable pour atteindre l’immunité collective. Bien sûr la première vague n’a pas été aussi violente en Afrique que ce qui était redouté. Les systèmes de santé ont réussi à faire face. Mais les dégâts sont réels. Les pays les plus touchés sont ceux dits « intermédiaires » comme les pays d’Amérique latine qui ont subi de plein fouet une deuxième vague d’ampleur, majorée par la question des variants.

D’un point de vue économique maintenant, CARE a dû déclencher des aides en nature dans des pays où allocations et système de santé sont inexistants et où le télétravail n’est pas de mise. Il faut bien avoir en tête que le confinement est un « luxe » de pays riche payé par la planche à billets.

CARE a également multiplié pendant la pandémie les distributions alimentaires en essayant de générer parallèlement des revenus pour les personnes les vulnérables. Dans les coopératives que nous accompagnons nous avons appris aux participantes à faire du gel, des masques et à respecter les gestes barrières.

La conséquence inévitable de cette crise sanitaire dans des pays où la situation politique et économique est déjà très fragile se traduira sans nul doute par un recul du progrès contre la pauvreté.

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre actualité ?

En termes programmatique cette année, ce sera la COVID-19 avec des équipes sur place totalement épuisées par la gestion de la dégradation sanitaire et économique auxquelles nous ne pouvons envoyer de renforts. La situation est dure, il a fallu que nous apprenions à travailler à distance, à réfléchir aussi à l’exfiltration des expatriés.

En ce qui concerne l’actualité géographique, nous nous positionnons en plaidoyer sur le domaine du soutien aux droits des femmes notamment en Syrie, au Liban, au Sahel, dans les zones de conflits.

Enfin, CARE considère l’arrivée de Joe Biden comme une fenêtre d’espoir. Nous allons enfin pouvoir reprendre des négociations non en mode défensif mais en processus collaborationnel sur le climat. 

Découvrez aussi

Toutes les interviews d’organisations