Vision du Monde est une ONG de solidarité internationale qui intervient dans plus de 100 pays pour répondre aux besoins des enfants vulnérables. Les plus fragilisés, ce sont ceux et celles qui n’ont accès ni à l’eau ni à l’hygiène élémentaire, les filles mariées trop tôt et trop vite sans en avoir le choix ou encore les enfants en état de malnutrition qui ne peuvent bénéficier de soins basiques. Lorsqu’on ajoute à tout ceci un environnement géopolitique troublé voire des populations vivant sous les bombes, la vulnérabilité des enfants atteint des extrêmes. Vision du Monde se fait fort de les soutenir et de leur offrir une vie meilleure. Rencontre avec Camille Romain des Boscs, directrice générale de l’association.
La crise de l’eau est là. Les ONG l’anticipaient depuis un moment mais les médias français l’abordent seulement aujourd’hui parce que nous sommes directement impactés. 2 milliards de personnes en 2023 sont exposées dans le monde à la pénurie d’eau potable et aux maladies hydriques afférentes […] Maintenant qu’il y a prise de conscience, il ne faut pas se décourager, des solutions existent. Il est grand temps d’agir. Une première action consiste déjà à stopper notre surconsommation d’eau et ainsi préserver cette ressource en choisissant par exemple dans le secteur agricole des cultures moins gourmandes en eau ou en faisant davantage appel à l’agroforesterie, dans l’industrie minière en rationalisant l’utilisation de l’eau, optimisant ses coûts de traitement et valorisant les eaux perdues. Faire évoluer nos modèles pour avoir une consommation raisonnable est aujourd’hui nécessaire, vital même.
Vision du Monde fait partir du partenariat World Vision International. Elle est la 1ère ONG de parrainage d’enfants au monde avec pour objectif de venir en aide aux plus vulnérables. Elle est aussi le premier fournisseur non gouvernemental d’eau potable, pouvez-vous nous parler de vos missions ?
Vision du Monde fait partie d’une fédération internationale créée il y a 70 ans maintenant, présente dans une centaine de pays. La mission de notre association qui fêtera l’année prochaine ses 20 ans d’existence, consiste à venir en aide aux enfants les plus vulnérables pour leur permettre d’avoir la chance de vivre pleinement leur vie ; c’est-à-dire non seulement leur permettre de satisfaire leurs besoins primaires mais également de développer leurs talents.
Pour cela nous mettons en place soit :
- Des projets de long terme d’aide au développement dans des contextes assez stables (accès à l’eau potable, à une bonne alimentation, aux soins médicaux de base, à l’éducation). Projets qui supposent en parallèle la mise en place d’une aide pour développer les ressources financières des familles afin d’éviter le travail infantile.
- Des aides d’urgence humanitaire en contexte instable (catastrophes naturelles, conflits, pandémies…). Nous sommes ainsi présents notamment en Ukraine, en Afghanistan, au Venezuela pour venir en aide aux Caminantes – ces migrants qui quittent le Venezuela à pied pour la Colombie voisine.
Enfin Vision du Monde fait partie intégrante de l’organisation World Vision International avec laquelle nous coordonnons nos propres actions de plaidoyer sur de multiples problématiques en faveur des enfants vulnérables (accès à l’éducation, à l’eau potable…). Le plaidoyer peut s’effectuer au niveau international mais aussi beaucoup au niveau local où il consiste à faire en sorte que certaines normes sociales qui génèrent de l’injustice et/ou de la violence sur les enfants soient revues (mariages d’enfants, mutilations génitales…) avec en filigrane l’évolution des droits des enfants.
Plus concrètement, comment s’organisent vos programmes à long terme ?
Notre première approche consiste à être à l’écoute des gens. Nous prenons un an parfois même deux pour réaliser un audit permettant de collecter des informations et recenser les besoins dans les zones qui nous semblent devoir bénéficier de notre intervention. Nous expliquons ensuite comment va se dérouler notre soutien puis établissons avec les équipes locales un plan d’actions priorisant les problématiques.
L’eau et l’assainissement font partie des enjeux les plus souvent soulevés pour améliorer les conditions de vie des familles les plus fragiles. En la matière, nous nous positionnons à la fois sur des éléments très concrets comme l’adduction, le stockage, la distribution ou encore la mise en place de comités de gestion de l’eau chargés d’intervenir en cas de panne mais avons aussi vocation à être « aiguillon » pour les instances locales en les orientant vers les bons choix de développement. Nous sommes là pour montrer à l’État ce qui peut être fait et ce qui doit être fait.
Nous ne nous contentons pas de construire et financer des infrastructures (creuser des puits sur les forages, construire des sanitaires ou des cantines dans les écoles), nous accordons également une grande importance au transfert de compétences en impliquant les locaux et les familles dans la réalisation des projets que nous mettons en place. Rendre les communautés autonomes est la seule manière d’assurer un avenir meilleur aux générations futures.
En ce qui concerne nos financements maintenant, ils proviennent essentiellement de ce formidable levier de développement qu’est le parrainage d’enfant. Au-delà de permettre à un enfant d’avoir le soutien d’un parrain, la collecte des fonds issue du parrainage est mutualisée et réinjectée dans des projets bénéficiant à toute la communauté.
Induite par les dérèglements climatiques qui ont brisé son cycle, par notre « surconsommation vampirique » et non durable des ressources hydriques planétaires, par les défauts d’assainissement et les inégalités d’accès aussi dans certains pays en développement, la crise mondiale de l’eau est imminente selon l’ONU. 1 personne sur 4 est aujourd’hui privée d’eau potable. Les défis dans le domaine sont donc nombreux, quels sont vos engagements sur le sujet ?
L’eau fait partie de nos sujets prioritaires et majeurs. Vision du Monde s’engage d’ici à 2030 à donner accès à l’eau potable à toutes les personnes en précarité hydrique bénéficiant de nos programmes. Nous estimons que les problèmes liés à l’eau non potable et à l’hygiène peuvent être résolus dans les prochaines décennies. C’est pourquoi, nous avons investi plusieurs millions d’euros au niveau mondial afin de permettre un accès à l’eau potable et à l’hygiène à l’ensemble des communautés pour lesquelles nous travaillons. Nos engagements portent en la matière sur l’accès à l’eau mais aussi sa préservation, sa distribution et son assainissement dans le but de réduire la propagation des maladies et les violences qu’engendre son absence de gestion.
Nous faisons également partie des associations lanceuses d’alerte lors de la Journée Mondiale de l’Eau instituée par l’ONU visant à sensibiliser à une gestion durable des ressources en eau et à accélérer le changement pour résoudre la crise de l’eau et de l’assainissement. De grandes choses peuvent être réalisées lorsque nous travaillons tous ensemble.
Êtes-vous positive sur l’utilisation et la gestion de l’eau au niveau mondial dans les années à venir ? Quels sont selon vous les mécanismes à mettre en place en urgence pour parvenir à contourner ou à défaut atténuer les effets de la crise?
Oui et non. La crise de l’eau est là. Les ONG l’anticipaient depuis un moment mais les médias français l’abordent seulement aujourd’hui parce que nous sommes directement impactés. 2 milliards de personnes en 2023 sont exposées dans le monde à la pénurie d’eau potable et aux maladies hydriques afférentes. Concomitamment les sécheresses à répétition comme celles que l’on voit apparaître dans la Corne de l’Afrique (Kenya, Éthiopie, Somalie) représentent un véritable fléau. Sévérité des sécheresses et manque d’eau provoquent un cercle vicieux : plus rien ne pousse, le bétail meurt, les populations locales n’ont donc plus rien à manger, n’ont plus de revenus avec pour conséquence l’augmentation du travail des enfants.
Paradoxalement, se profile le phénomène inverse d’inondations meurtrières comme celles observées en Afghanistan ou au Pakistan générant des effets collatéraux dramatiques (pertes humaines, destructions d’infrastructures, glissements de terrain, systèmes de télécommunications et d’approvisionnement en eau fortement endommagés ou détruits, retour de maladies en tout genre …).
L’augmentation de phénomènes climatiques extrêmes met vraiment à mal des centaines de milliers de personnes sur la planète et en particulier les enfants. Le sujet est de taille, le challenge mondial.
Maintenant qu’il y a prise de conscience, il ne faut pas se décourager, des solutions existent. Il est grand temps d’agir. Une première action consiste déjà à stopper notre surconsommation d’eau et ainsi préserver cette ressource en choisissant par exemple dans le secteur agricole des cultures moins gourmandes en eau ou en faisant davantage appel à l’agroforesterie, dans l’industrie minière en rationalisant l’utilisation de l’eau, optimisant ses coûts de traitement et valorisant les eaux perdues. Faire évoluer nos modèles pour avoir une consommation raisonnable est aujourd’hui nécessaire, vital même.
Parlez-nous de la force du plaidoyer chez Vision du Monde, sur quels sujets portent vos campagnes de sensibilisation auprès des instances publiques ? Avez-vous l’impression d’être écoutés a minima d’être entendus ?
Le plaidoyer fait indéniablement bouger les choses. L’association a la chance d’appartenir à un réseau et donc de bénéficier de la force de ce réseau. Nous agissons en collaboration avec d’autres ONG pour défendre un plaidoyer commun qui finit par porter ses fruits et nous faire entendre. Pour vous dire, nous avons contribué, l’année dernière, à faire modifier plus de 600 politiques publiques en faveur des enfants vulnérables en 2 millions d’actions de plaidoyer à travers 42 pays.
En matière de sensibilisation, la fédération World Vision International a mené ces dernières années une grande campagne mettant l’accent sur les violences faites aux enfants (en focalisant sur des chiffres et des faits, en impliquant les enfants suivis aussi) qui a fait bouger les choses.
Nous sommes également très présents sur tous les enjeux relatifs à la malnutrition et la faim dans le monde. Nous portons haut et fort ces sujets à travers un plaidoyer efficace et impactant.
Comment interagissez-vous avec des ONG comme CARE International ou Plan International qui elles aussi mettent en œuvre des programmes pour venir en aide aux enfants les plus vulnérables, avez-vous des programmes communs ? Complémentaires ?
Nous travaillons en effet en partenariat avec d’autres ONG au travers d’instances de rencontres que nous créons de manière assez naturelle dans les pays que nous couvrons. Ces instances nous permettent de partager nos expériences, nos difficultés, nos enjeux communs et de nous assurer de ne pas faire doublon mais d’agir en complémentarité. Nous mettons en place des projets communs aussi financés par un même bailleur qu’est l’Agence Française de Développement. Par exemple, en ce moment, Vision du Monde réalise en partenariat avec CARE International un projet en faveur des femmes en République démocratique du Congo. Dans le cas de programmes communs, les ONG se répartissent le projet soit en fonction de la géographie, soit en fonction des compétences de chacun pour un même territoire.
A titre informatif, 90% des travailleurs humanitaires de Vision du Monde sont des locaux qui peuvent être salariés, volontaires ou bénévoles.
Enfants enrôlés dans l’armée, mariages forcés en échange d’argent, privation d’éducation, ces situations sont encore fréquentes à travers le monde. Pour un trop grand nombre d’enfants, grandir relève d’un combat. Quel état des lieux faites-vous des droits des enfants dans le monde et de le leur respect ? Quels sont les progrès constatés depuis ces dernières années ?
Alors que l’extrême pauvreté reculait dans le monde depuis plusieurs décennies, la tendance s’est largement inversée depuis la crise du Covid-19. Aujourd’hui, des millions de nouvelles personnes se retrouvent à vivre sous le seuil d’extrême pauvreté établi par la Banque mondiale, victimes collatérales des différents confinements. On observe dans nos programmes une très grande paupérisation dans certaines parties du monde : reprise du travail des enfants et des mariages forcés, augmentation des excisions, exploitation sexuelle, malnutrition endémique, multiplication des conflits… La liste est malheureusement longue alors que chaque enfant a le droit d’être protégé, nourrit, éduqué.
Ce recul des droits des enfants est alarmant et à prendre très au sérieux. Ces derniers ont fait les frais des efforts déployés pour répondre à la pandémie de Covid-19, notamment en ce qui concerne leur droit à l’éducation et sont aujourd’hui menacés par la réalité des changements climatiques.
Vous venez de sortir une campagne de communication choc très réussie intitulée « Comment montrer l’immontrable ? » visant à sensibiliser sur la situation de millions d’enfants confrontés à la mort et la souffrance partout dans le monde, parlez-nous de la genèse de ce projet ? A-t-il eu des répercussions positives ?
Il était important pour nous de sortir une campagne sensibilisant de manière « choc » à la réalité de ce que vivent certains enfants dans le monde. Des millions d’enfants sont aujourd’hui dans des situations catastrophiques. A titre d’exemple plus de 8 millions d’enfants de moins de 5 ans risquent de mourir de malnutrition infantile en raison de la crise alimentaire.
Nous avons donc décidé avec notre agence de communication partenaire (Steve) de « montrer ce qui n’est pas montrable », de « dire ce qui n’est pas dicible », sur des questions telles que la faim non pour vivre mais survivre, les conflits impactant directement les enfants ou encore les violences sexuelles auxquelles ont à faire face certains d’entre eux (mariages forcés, grossesses précoces, excisions…).
Cette campagne a été ponctuée d’encouragements et surtout de remerciements dont nous sommes très fiers.
Comment intervenez-vous dans les régions du monde les plus sensibles politiquement parlant, quelles sont les difficultés voire dangers auxquels vous devez faire face et comment les contournez-vous ?
Sachant que notre mission consiste à aider les enfants les plus vulnérables et que la vulnérabilité est liée à un mille-feuilles de difficultés, nous vivons la dangerosité en permanence. On estime que d’ici 2030, 80 % des personnes les plus pauvres au monde vivront dans des endroits extrêmement dangereux pour les enfants, c’est-à-dire des endroits où les enfants feront l’objet de violences physiques, sexuelles et/ou émotionnelles (zone de conflit, territoire menacé par le dérèglement climatique, exploitation sexuelle, travail forcé, châtiments corporels). Faire face au danger fait donc partie de notre ADN. Face à ce danger, notre mobilisation reste sans faille. Éthiopie, Ukraine, Afghanistan, République Centre Africaine, République Démocratique du Congo… nous couvrons des pays en guerre intra ou extra étatique. Si nous avons la chance de bénéficier de la confiance des populations locales qui nous fournissent des informations essentielles permettant de limiter les risques malheureusement parfois il nous arrive de perdre des collaborateurs victimes de bombardement ou d’exécution.
Il faut savoir également que les ONG doivent en permanence trouver un juste équilibre entre celles qui agissent mais se taisent pour que les gouvernants des pays ciblés les laissent intervenir, et celles qui dénoncent via le plaidoyer mais n’accèdent plus aux territoires.
Dans un contexte complexe et dangereux, les ONG comme Vision du Monde doivent avoir le courage d’être auprès des plus vulnérables envers et contre tout. C’est leur leitmotiv.
D’où proviennent vos différentes ressources financières ?
Nous collectons en France un peu plus de 11 millions d’euros issus à 93% de la générosité du public. Le reste provient du mécénat, des fondations, des entreprises et de fonds publics.
En parlant de générosité du public a-t-elle progressé ces dernières années ? Est-elle satisfaisante selon vous ?
Tout à fait. Pour Vision du Monde en tout cas elle est restée stable. Nous avons aujourd’hui plus de 26.000 parrains et marraines qui nous permettent d’assurer aux familles aidées un soutien sur un temps long. Toutefois on a observé depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine et l’arrivée de l’inflation dans un contexte économique instable que l’engagement pérenne sur un don récurent est de plus en plus difficile. Après il existe une autre forme de générosité qu’est le don d’urgence qui lui ne fléchit pas.
Parlons du Don en Confiance, de quelles manières l’association encourage-t-elle ses organisations labellisées à évoluer ? Qu’est-ce que l’accompagnement des contrôleurs du Don en Confiance apporte à votre organisation ?
Le Don en Confiance encourage ses associations labellisées à s’inscrire dans un processus d’amélioration continu et de recommandations extrêmement sain. Les échanges réguliers, sans être intrusifs, permettent d’aborder certaines questions sous des angles nouveaux et la dernière revue nous a permis de clarifier des points précis. C’est un regard extérieur précieux, nourri de la connaissance des autres organisations et qui permet ainsi de trouver les meilleures solutions à des sujets donnés. Les échanges sont constructifs et efficaces, nous apprécions l’apport du Don en Confiance tant au niveau des équipes opérationnelles que du Conseil d’administration.
Le Don en Confiance place le donateur au centre de sa démarche. Est-ce que votre organisation s’en sert de levier, comme d’une fierté ?
Absolument ! Nous sommes en effet très fiers d’avoir été labellisés. Nous avons le devoir moral d’utiliser au mieux les fonds qui nous sont confiés. Avec cette labellisation, nous garantissons à nos donateurs la destination et l’utilisation des fonds collectés. Ils savent en toute transparence que leur argent servira à la juste cause qu’ils ont choisi de défendre.
Une actualité à nous soumettre ?
Depuis des années Vision du Monde développe des programmes de préservation des ressources naturelles (eau, arbres…) essentielles pour nous attaquer aux causes profondes de la pauvreté et mener à bien notre mission. Nous avons d’ailleurs en la matière mis au point avec un de nos collaborateurs australiens une approche nommée RNA (Régénération Naturelle Assistée), pratique agroforestière qui consiste à laisser au cours du défrichement (en saison sèche ou en saison des pluies) un à trois rejets issus des souches des différents arbres et arbustes (entre 20 à 100 pieds à l’hectare selon les espèces) pour qu’ils poursuivent leur croissance.
La Régénération Naturelle Assistée (RNA) permet de reconstituer des écosystèmes entiers en 3 ans. Elle induit également le retour de l’eau par capillarité qui reste dans les sols. Lorsque la végétation reprend ses droits, ce sont les animaux qui peuvent ensuite revenir pâturer. En perdant leurs feuilles, les arbres donnent à la terre une matière organique qui fertilise les sols et profite à la faune : un véritable cercle vertueux source d’amélioration des rendements agricoles.
Cette technique a été mise au point il y a une trentaine d’années au Niger. Elle a permis de faire repartir des centaines de milliers d’hectares dans ce pays et a été dupliquée dans plein d’endroits du monde avec un réel succès. Elle est considérée aujourd’hui comme une réponse pertinente face aux enjeux de reforestation, de lutte contre le changement climatique et de reconstitution d’écosystèmes entiers que Vision du Monde porte dans plusieurs pays dont en ce moment le nord du Ghana.