Fondée en 1985, l’ARSLA (Association pour la Recherche sur la Sclérose Latérale Amyotrophique) a pour objectif de soutenir la recherche et permettre une meilleure prise en charge de la SLA ou Maladie de Charcot. Cette pathologie, caractérisée par la dégénérescence progressive des neurones moteurs c’est-à-dire des cellules nerveuses commandant les muscles volontaires, concerne 8.000 personnes en France. Rencontre avec Christine Tabuenca, directrice générale de l’association.
Lorsque l’on travaille sur des pathologies aussi lourdes la tristesse n’a pas lieu d’être parce qu’en fait contrairement à ce que l’on peut penser les patients sont vraiment dans la rage et la joie de vivre.
Parlez-nous de l’ARSLA, que signifie cet acronyme et quelles sont les missions de l’association ?
L’ARSLA signifie Association pour la Recherche sur la Sclérose Latérale Amyotrophique, nom scientifique de la maladie de Charcot. Nous avons 2 missions principales. La première consiste à accompagner le malade pour une meilleure qualité de vie et de soin. La seconde repose sur le soutien à la recherche pour réussir à éradiquer la maladie.
Outre ces missions, l’association propose un accompagnement juridique et social pour toutes les démarches administratives. Des groupes de paroles pour les aidants familiaux sont également mis en place ainsi qu’une ligne d’écoute ouverte tous les jours qui reçoit 1.200 appels par an. Enfin on établit des fiches conseils pour les aidants et les professionnels de santé de manière à ce que la prise en charge soit adaptée. Le cas le plus fréquent étant le kiné qui reçoit un patient SLA pour de la rééducation musculaire alors que cela ne sert à rien.
Qu’est-ce que la maladie de Charcot ?
C’est une maladie neurodégénérative qui enferme la personne dans son corps. Très rapidement, elle ne peut plus marcher, parler, manger, respirer tout ceci sans atteinte des fonctions cognitives. On n’en connaît pas les raisons dans 90% des cas. Pour les 10% restant il s’agit d’une cause génétique engageant 17 gènes responsables de la maladie.
Combien de personnes en France et dans le monde sont concernées par la maladie ?
On estime en France qu’entre 7.000 à 8.000 personnes sont concernées pour 150.000 cas en Europe et 500.000 dans le monde entier. Chaque année 1.200 nouveaux cas sont diagnostiqués dans l’hexagone pour 1.100 décès. Ce sont des chiffres extrêmement stables dans le temps.
La SLA est une maladie d’adulte. Elle ne concerne donc absolument pas les enfants. La moyenne d’âge pour la développer est d’environ 55 ans avec un pronostic vital de l’ordre de 3 à 5 ans. Bien souvent, quand le diagnostic est posé la personne vit depuis grosso modo 1 an avec la maladie, ce qui explique les 3 ans d’espérance de vie. Un diagnostic posé précocement laisse quant à lui une marge de deux ans supplémentaires.
Existe-t-il des cas atypiques de personnes pouvant aller au-delà de cette espérance de vie ?
Malheureusement les individus qui dépassent le cap des 10 ans ont souvent accepté de faire une trachéotomie. Ils vivent branchés à une machine. Quand vous avez fait le choix de l’intervention et si votre cœur tient le coup vous pouvez vivre 20 ou 30 ans. Dans la plupart des cas cependant, même avec une trachéotomie l’espérance de vie reste de maximum 10 ans.
En France très peu de personnes font ce choix, tout simplement parce que les médecins ne le proposent pas considérant qu’il s’agit d’un acharnement thérapeutique. Les choses sont en train de changer lentement avec le rajeunissement des cas. Enfin non, il ne s’agit pas vraiment d’un rajeunissement des cas mais plus d’un diagnostic aujourd’hui posé plus tôt. On se retrouve alors avec un panel de malades âgés de 45-50 ans ayant des enfants en bas âge. Cette situation rend la trachéotomie extrêmement pertinente. Mais faire cette intervention relève aussi d’un choix personnel effectué en fonction de valeurs et de croyances religieuses de chacun.
Y-a-t-il des progrès dans les traitements médicamenteux dédiés au ralentissement de l’évolution de la maladie ?
Il n’y a qu’un seul traitement effectif depuis 1994. Il permet de gagner quelques semaines à 1 an et demi suivant le moment de la prescription (plus on le prescrit tôt, plus il va ralentir la maladie). Il n’existe rien d’autre à ce jour.
En revanche, la recherche a fait de gros progrès ces 5 dernières années dans la connaissance du mécanisme de la SLA. Pour la première fois en 2019 une équipe de chercheurs français a réussi à effacer toute trace de maladie chez la souris. En fait on bénéficie ici de l’avancée de la recherche génétique, cela ne concerne donc potentiellement que 10% des malades.
Quels sont les soutiens proposés lorsque l’on vit avec une maladie neurodégénérative en étant dans la force de l’âge, avec des enfants et que l’on sait son pronostic vital engagé à court terme ? Existe-t-il des structures d’accueil spécialisées pour les malades ?
Nos malades n’ont absolument pas envie d’aller dans des structures, très clairement. 80% des malades décèdent d’ailleurs à domicile. En outre très peu d’établissements accueillent des patients SLA, la maladie étant bien trop lourde à gérer financièrement. Concrètement le lever et la toilette d’une personne atteinte de la maladie représentent un minimum de 2 heures et demi de soin. Or nous sommes plus proche de la demi-heure consacrée dans les centres de soin. Il s’agit donc plutôt dans le cas de la maladie de Charcot de maintenir le malade à domicile en améliorant sa vie quotidienne.
La prise en charge du patient et l’amélioration de son quotidien entrent aujourd’hui dans le cadre d’un plan nommé « Plan des maladies rares ». Nous sommes éligibles aux critères de ce plan et avons été d’ailleurs une des premières associations dans les années 88 à payer sur nos propres fonds des consultations multidisciplinaires pour montrer que la qualité des soins et la qualité de vie des patients étaient améliorées par ces consultations.
Bernard Kouchner, ministre à l’époque, s’est approprié le modèle que nous avons développé et à partir de ce modèle a mis en place ce fameux « Plan des maladies rares » dont nous faisons partie au même titre que l’ensemble des maladies considérées comme rares. Le plan inclut les consultations multidisciplinaires comme indispensables aux malades afin d’améliorer leur vie.
Pouvez-vous nous en dire plus sur ces consultations multi disciplinaires : quelles disciplines concernent-elles justement ? Où trouvent-on ces centres ?
Un patient qui se rend dans un centre de référence SLA peut rencontrer un(e) neurologue, un(e) psychologue, un(e) ergothérapeute, un(e) orthophoniste, un(e) pneumologue, un(e) infirmier(e)… bref tous les corps médicaux qu’il est supposé voir en fonction de sa pathologie sur un même lieu, un même jour.
Aujourd’hui en France il existe 19 centres de référence répartis partout sur le territoire métropolitain. On peut en trouver un aussi à l’île de la Réunion. Ils se situent dans les CHRU (la Salpêtrière pour Paris). On y propose également d’intégrer des protocoles de recherche en phase 1 ou phase 2 ayant pour objectif de tester la « tolérabilité » ou la toxicité d’un médicament.
L’ARSLA est membre du Conseil d’administration de la filière des centres référence pour porter la voix des malades.
ARSLA est-elle la seule association en France à s’occuper de cette maladie ?
Il existe une centaine d’associations qui prétendent être dans la SLA. Dans les faits l’ARSLA est seul référent au niveau national tout simplement parce que les autres structures se sont généralement créées autour d’un malade pour financer l’aménagement de son domicile, l’achat d’un véhicule et autres besoins. Ces associations disparaissent donc très souvent avec le décès de la personne concernée. Elles n’ont pas de rôle de santé publique. En revanche si elles ont récupéré beaucoup d’argent, certaines aident localement quelques autres malades mais cela s’effectue dans le cadre d’actions circonscrites.
L’ARSLA apporte-t-elle un soutien pour aider les malades à domicile ?
Nous accompagnons 3.500 malades à l’année quels que soient leur lieu et projet de vie. Notre activité principale consiste à mettre à disposition le plus rapidement possible et gratuitement des aides techniques pour compenser la perte d’autonomie. Nous faisons près de 2.600 prêts à l’année allant du fauteuil électrique à la commande oculaire dont l’objectif consiste à maintenir la communication.
Ce modèle-là vient d’être salué par la commission nationale de solidarité et de l’autonomie et va être présenté au gouvernement comme un modèle à développer pour les années à venir dans le secteur de l’aide à l’autonomie, notamment des personnes âgées. Nous en sommes très fiers.
Votre modèle vous l’avez créé avec qui en fait ?
L’ARSLA l’a vraiment mis en place tout seul. Il y a une quinzaine d’années, les malades – décédant malheureusement assez vite – avaient souvent pour volonté de nous léguer leur fauteuil ou le matériel qu’ils avaient très peu utilisé. L’association a alors compris l’importance de ces dons dont il fallait se servir pour mettre à disposition d’autres malades. Nous avons ainsi créé notre parc de matériel technique évalué aujourd’hui à 1,9 millions d’euros, la moitié correspondant à des dons et l’autre moitié étant achetée sur nos propres fonds.
Outre les personnes directement concernées (atteintes en propre ou ayant un proche touché par la maladie) est-il aisé de sensibiliser le public à la cause et comment procédez-vous ?
C’est un vrai sujet, d’autant que l’ARSLA fête ses 35 ans cette année. Or pendant 30 ans l’association a refusé de communiquer vers le grand public avec motif que la maladie pouvait faire peur et être anxiogène pour tout un chacun. Et puis en 2014, il y a eu le Ice Bucket Challenge (saut d’eau glacé que les gens se renversaient sur la tête) qui a généré un incroyable buzz et a permis la collecte de 2 milliards d’euros de par le monde. Ce défi sur internet symbolisait l’effroi que les personnes pouvaient avoir quand on leur annonçait qu’elles étaient atteintes de la maladie de Charcot.
Quand ce phénomène a touché la France, l’association s’est dit « qu’est-ce que ces américains qui se moquent de la maladie ? C’est un vrai scandale »… mais le jour où des fonds ont commencé à entrer nous avons compris qu’il y avait quelque chose à faire pour servir la cause.
L’ARSLA a donc changé complètement son projet associatif. Aujourd’hui notre communication ne tourne pas autour des personnes décédées mais plutôt autour des malades bien vivants ayant la rage de vivre.
Depuis nous avons réalisé 2 campagnes de communication dont une première assez trash puisqu’il s’agissait de montrer une tortue sur le dos avec comme accroche « une tortue sur le dos meurt en 3 heures, un patient SLA meurt en 3 ans ».
La deuxième campagne dont l’origine remonte à décembre 2018 et qui court toujours présente une personne debout dans une pièce, cernée par des murs qui se rétrécissent peu à peu comme symbole de l’enfermement.
Enfin nous proposons deux événements grand public ayant pour objectif de collecter mais surtout d’informer : une course solidaire (5eme édition au mois de juin) où nous réunissons 1.000 coureurs au bois de Vincennes et un événement en piscine au mois de septembre.
Recevez-vous beaucoup de dons de la part du public ?
Nous sommes financés à 99% par la générosité publique pour un budget de 2 millions d’euros. Très peu de mécénat.
L’association rencontre-t-elle des difficultés lors du recrutement de bénévoles pour porter la cause ?
Oui mais cela doit être le lot de beaucoup d’associations, non ? En ce qui nous concerne, nous accueillons 85 bénévoles. L’ARSLA a toutefois une double problématique. Jusqu’à peu, nous n’acceptions comme bénévoles que des personnes ayant perdu un proche de la maladie de Charcot. Ils s’appellent d’ailleurs eux-mêmes « bénévoles endeuillés ». Du coup c’est un bénévolat de souffrance très difficile à gérer.
Depuis 2 ans toutefois nous nous ouvrons à toute personne ayant envie de s’engager dans le bénévolat et là nous nous heurtons aux difficultés que beaucoup rencontrent : attirer le bénévole et le fidéliser !
Nos bénévoles sont des retraités qui agissent dans plusieurs domaines. S’ils sont bénévoles au siège, ils sont considérés comme renfort de l’équipe avec des tâches plutôt tournées vers l’administratif ou écoutants sur la ligne d’écoute. S’ils sont en région, on attend d’eux un travail de proximité avec les malades locaux de manière à les conseiller et les orienter dans leurs parcours de soin.
Depuis quand la structure est-elle labellisée Don en Confiance et que vous a apporté cette labellisation ?
Nous sommes labellisés depuis 2011. La présidente de l’époque a souhaité cette labellisation pour pouvoir professionnaliser l’association qui était très amatrice.
Le Don en Confiance ainsi que l’arrivée de Deloitte comme Commissaire aux comptes a permis de mettre en place des procédures, un cadre précis aussi bien dans la gestion financière que dans la gestion des différentes actions.
Quelles sont les avancées au niveau de la recherche et est-on sur le point de trouver un traitement ?
On annonce un traitement dans les 6 à 10 ans pour la forme génétique qui bloquerait l’évolution de la maladie. Mais pas de guérison. Sur les 10% concernés cela ne s’appliquera toutefois pas à tout le monde puisqu’il y a 17 gènes de responsable et que cette thérapie se focalise sur 1 gène.
Après l’annonce d’une telle maladie comment s’articule la vie tant de la part du patient que des aidants ?
Vous avez 1% des malades qui se suicident après l’annonce du diagnostic, ce qui est très peu. Entre 1 et 2% des malades vont développer une dépression. Ils vont être dans la colère, dans le rejet de tout.
Les autres se disent : « De toute façon je suis condamné alors autant en profiter ». Ils sont plutôt à se lancer des défis et à faire en sorte de vivre pleinement. A faire en sorte que ce soit eux qui maitrisent la maladie et pas le contraire.
Après, la problématique est différente pour les aidants. Pour eux la vie devient extrêmement compliquée car ils se demandent tout le temps à quel moment cela va arriver. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons mis en place une ligne d’écoute et un groupe de paroles pour les aidants. En même temps, ils n’ont pas vraiment le temps de se lamenter puisqu’ils doivent assurer au quotidien le soutien du malade.
Quant aux enfants, tout dépend de leur âge. Les plus jeunes ne se posent pas de questions. Le malade reste de toute façon leur papa ou leur maman, quelle que soit sa condition. La problématique est plus complexe lorsqu’on a à faire à des adolescents qui eux peuvent se retrouver parfois dans la peau de l’aidant, situation très lourde à porter. Aujourd’hui ce sont eux les grands oubliés de la prise en charge. Rien n’est prévu dans les protocoles de soins pour ces jeunes-là.
Quels conseils souhaitez-vous apporter aux personnes atteintes ?
Le meilleur conseil à apporter est d’inciter les gens atteints à vraiment être suivis dans un centre de référence afin d’appliquer à la lettre toutes les recommandations médicales fournies. L’idée étant qu’ils soient dans le meilleur état possible si un médicament stoppant la maladie arrivait sur le marché.
Quelles sont vos priorités dans l’avenir ?
L’ARSLA a trois priorités qui feront partie de notre nouveau projet associatif pour les 5 ans à venir :
- mieux former les professionnels de santé. L’idée étant d’ouvrir un institut de formation. Il y a encore trop de professionnels de santé qui méconnaissent la maladie,
- soutenir les aidants en leur permettant le répit,
- accompagner les malades en fin de vie.
Madame Christine Tabuenca a aujourd’hui quitté la fonction de Directrice générale de l’association remplacée par Madame Sabine TURGEMAN