Paroles d’organisation

Sylvain NIVARD – Président de l’association Valentin Haüy

Créée en 1889 par Maurice de La Sizeranne, l’association Valentin Haüy a pour vocation d’apporter les moyens aux aveugles et malvoyants de mener une vie normale afin de leur permettre de sortir de l’isolement. Acteur historique de l’aide aux personnes déficientes visuelles, elle déploie depuis plus de 130 ans un grand nombre de services et d’actions à travers toute la France. Rencontre avec Sylvain Nivard, Président.

Je ne ferais aucune hiérarchie entre un aveugle de naissance et une personne touchée par la cécité au cours de sa vie. Dans les 2 cas la chose est compliquée. L’aveugle de naissance a un cheminement d’acceptation à faire et se sent victime malgré tout d’une injustice. D’un autre côté, perdre la vue soudainement est très paniquant. Les personnes tombent dans le déni, continuent à s’accrocher à leur résidu visuel et s’isolent. Beaucoup ne font pas appel à nous faute de connaissance des missions de l’association.

Autant 8 aveugles sur 10 connaissent l’association Valentin Haüy autant les malvoyants, en particulier les personnes âgées n’ont jamais vraiment entendu parler de nous au cours de leur existence donc n’ont pas le réflexe de nous solliciter.

Acteur historique de l’aide aux personnes déficientes visuelles, pouvez-vous nous en dire plus sur l’organisation et les missions de votre association ?

L’association Valentin Haüy existe depuis 130 ans. Ses missions consistent à :

  • aider les malvoyants à être plus autonomes,
  • faire en sorte que la société évolue pour permettre aux aveugles et malvoyants de vivre et de s’intégrer en toute harmonie.

L’organisation inclut une partie associative composée de 120 comités départementaux animés par 3 400 bénévoles et une partie médico-sociale qui compte 400 salariés dans 16 établissements ayant vocation à former, loger ou encore donner du travail à des déficients visuels.

La partie associative propre à chaque département propose aux malvoyants un large panel d’activités de loisir ou d’apprentissage (cours d’informatique adaptés, cours de yoga, sortie en forêt…). Le projet associatif consiste aussi à représenter les aveugles et malvoyants dans les commissions départementales telles les Maisons Départementales pour les Personnes Handicapées (MDPH) ainsi qu’à sensibiliser à la malvoyance dans les écoles et les entreprises.

Symboliquement, pourquoi avoir fait le choix de « Valentin Haüy » pour nommer l’association ? Qui était-il et quels étaient ses liens avec la cause ?

Tout commence avec Maurice de la Sizeranne, fondateur de l’association ayant perdu la vue à 9 ans dans un accident de jeu. Il réalise que Valentin Haüy, pédagogue français du XVIIIème siècle, a accompli à son époque des choses extraordinaires pour les aveugles en fondant notamment une école – l’Institut National des Jeunes Aveugles – toujours en activité de nos jours. Cette école permet à de jeunes aveugles ou malvoyants d’apprendre à lire, écrire, compter comme tous les enfants de leurs âges et ainsi d’être accompagnés de la maternelle à la terminale.

Maurice de la Sizeranne fait alors le constat que rien n’existe pour les aveugles ou malvoyants adultes. Il crée donc l’association, transpose la mission de l’institut à la cible adulte et ainsi complète l’œuvre de Valentin Haüy.

Aujourd’hui, nos établissements médico-sociaux ont vocation à offrir aux jeunes ayant terminé leur parcours scolaire un travail, des loisirs et également les moyens d’avoir de l’autonomie.

Où en est-on aujourd’hui de l’inclusion des personnes handicapées visuelles tant socialement (accessibilité dans les lieux publics…) que professionnellement (accessibilité numérique, adaptation des postes de travail, recrutement…) ? 

Etant d’un naturel assez optimiste je vous dirais que des améliorations notables ont été réalisées : aménagement de voirie, feux sonores, bandes podotactiles, annonces vocales dans le métro, outils informatiques de plus en plus adaptés ayant ouvert des métiers auparavant inaccessibles…

Professionnellement, à l’exception des filières militaire, médicale ou de certaines scientifiques qui demandent un apprentissage fait de symboles et de formules, je crois que l’on peut dire que toutes les filières de métiers sont théoriquement abordables (sciences humaines, juridiques, sociales).

Pour autant dans le domaine numérique, il reste encore beaucoup de choses à faire car même si le secteur représente une formidable opportunité, il peut aussi être vécu comme une menace. En effet, si mon écran possède un logiciel qui me permet d’en lire le contenu, il faudrait encore que les sites web ou les applicatifs utilisés aient été développés conformément à des normes d’accessibilité qui existent mais sont malheureusement très peu respectées.

Que reste-t-il à faire selon vous pour aller au-delà d’une « bonne » intégration ? Pensez-vous que les pouvoirs publics et les entreprises interviennent à la hauteur des attentes et des enjeux ?

Avant d’aller au-delà d’une bonne intégration il faudrait déjà atteindre la bonne intégration et nous n’en sommes pas encore là. Les pouvoirs publics ont bien sûr un rôle essentiel à jouer notamment dans le domaine de l’accessibilité numérique (que je viens d’évoquer) où ils ont l’obligation de rendre les services publics accessibles à tous ainsi qu’à appeler les acteurs privés à faire preuve de citoyenneté en rendant accessibles leurs services. Des logiciels permettent de transformer le contenu de l’écran en braille ou en vocal mais encore faut-il que l’écran que l’on souhaite lire ait été développé conformément aux normes d’accessibilité. Or sur 100 sites web à l’heure actuel vous n’en trouverez pas 10 qui respectent les normes. Réserver un billet de train à titre d’exemple peut être sacrément contraignant.

Les pouvoirs publics doivent nous accompagner là-dessus et encourager voire sanctionner les acteurs économiques qui ne font pas l’effort de respecter ces normes.

Pour rester dans le domaine du numérique justement, est-ce que les fabricants de technologie se préoccupent comme il se doit de ce segment de marché ?

Non. Même si la mondialisation a permis que certains acteurs se positionnent sur un secteur touchant une large cible, le segment de marché des aides à la communication pour les déficients visuels reste encore assez restreint, chacun des types de produits de ce marché représentant une niche.

D’ailleurs et au-delà de la technologie informatique nous avons beaucoup de progrès à faire sur les autres technologies également (électroménager, commande de téléviseur, photocopieur et autres appareils sophistiqués dans le monde professionnel…). Aujourd’hui tout est compliqué et n’est pas réellement adapté.

Vous parliez un peu plus haut d’aller vers une meilleure intégration, aussi quels sont les moyens d’action de l’association pour faire avancer les choses sur le plan social ?

Valentin Haüy est en premier lieu une association pragmatique dont l’objectif vise à faire avancer les choses sur le terrain afin d’aider les déficients visuels dans leur quotidien. Nous les accompagnons d’abord dans leur cheminement d’acceptation du handicap. Ils ont bien souvent besoin d’une oreille attentive et compréhensive surtout lorsque le diagnostic vient de leur tomber dessus. Nous leurs proposons ensuite des compensations comme savoir utiliser les logiciels idoines en informatique, effectuer des activités de loisirs, travailler dans l’une de nos entreprises adaptées, venir vivre dans nos centres résidentiels, bénéficier de nos formations… en fonction de ce qu’ils recherchent.

Sur le plan social et à moyen terme nous tentons de faire avancer la cause en faisant du plaidoyer auprès des commissions départementales ou municipales d’accessibilité ainsi qu’auprès des grandes administrations de l’Etat. Dernièrement je suis allé voir la Directrice de cabinet de Clément Beaune, le Secrétaire d’Etat aux affaires européennes, pour évoquer la mise en œuvre rapide en France de la directive européenne sur l’accessibilité numérique qui doit entrer en vigueur sous peu dans tous les Etats membres.  La semaine dernière nous avons accueilli 2 députés pour leur faire visiter nos installations et leur présenter notre projet. Le plaidoyer auprès des instances de décision est essentiel pour espérer peser sur les décisions politiques sur le sujet, même si les pouvoirs publics se renvoient trop souvent la balle à mon goût et ne font pas de cette cause une priorité.

D’ailleurs heureusement qu’il existe des directives européennes portant obligation d’application dans les états membres pour nous aider parce que sinon nous nous sentirions assez peu pris en compte.

En cette période de distanciation sociale, les personnes ayant un handicap visuel (essentiellement guidées par le « touché ») doivent être particulièrement impactées, avez-vous dû redoubler d’efforts et vous réinventer pour les accompagner ?

Nos bénéficiaires ont subi de plein fouet l’impact de cette pandémie dans leur quotidien. Ne plus pouvoir toucher les gens lorsque vous traversez la rue, palper les produits lorsque vous faites vos courses a été extrêmement difficile. A cela est venu s’ajouter un phénomène de sidération notamment lors du premier confinement où il se disait que le virus se transmettait au moindre contact physique ou matériel.

L’isolement aussi a fait beaucoup de dégâts, la malvoyance touchant essentiellement un public âgé, seul, sans possibilité de visites.

A l’époque l’association n’a pas failli. Nos établissements médico-sociaux ont continué à accueillir les déficients visuels en foyers-logements, résidences pour personnes âgés, ateliers protégés, centres de formation…

En parallèle, nos bénévoles dans les comités départementaux ont maintenu le contact avec les bénéficiaires soit en les appelant pour s’enquérir de leur état, soit en leur rendant des services divers et variés si nécessaire.

Être aveugle de naissance ou être touché par la cécité au cours de sa vie sont deux problématiques différentes. L’une demande sans doute un soutien psychologique que l’autre ne nécessite pas forcément, comment gérez-vous au sein de l’association les particularités propres à ces deux publics ?

L’association Valentin Haüy possède une cellule de soutien psychologique composée d’assistantes sociales et de psychologues. Certains de nos bénévoles ont également l’expérience d’accueillir, d’écouter et surtout de témoigner puisque l’association comprend autant de déficients visuels que de voyants.

Une personne déficiente visuelle de naissance a effectivement un cheminement d’acceptation différent d’une personne touchée par la cécité sur le tard. Pour autant ce cheminement existe également pour l’aveugle de naissance victime malgré tout d’un sentiment d’injustice. Quand vos copains dans la cour de l’école jouent au foot et que vous êtes mis de côté ou parlent d’un film et que vous vous sentez exclu, il faut être en mesure petit à petit d’accueillir cette différence et de l’accepter.

Je ne ferais aucune hiérarchie. Dans les 2 cas la chose est compliquée mais le cheminement en revanche est différent c’est certain. Chez les adultes qui perdent la vue, le cheminement va s’assimiler à de l’acceptation passant par du déni. Perdre la vue soudainement est très paniquant. Les personnes tombent dans le déni, continuent à s’accrocher à leur résidu visuel et s’isolent. Beaucoup ne font pas appel à nous faute de connaissance des missions de l’association.

Autant 8 aveugles sur 10 connaissent l’association Valentin Haüy autant les malvoyants, en particulier les personnes âgées n’ont jamais vraiment entendu parler de nous au cours de leur existence et n’ont donc pas le réflexe de nous solliciter.

De la même manière comment traitez-vous les différentes formes de déficiences visuelles ? 

Il existe de multiples formes de malvoyance et elle ne se perçoit pas. Quand vous croisez une personne malvoyante dans la rue, si elle n’a pas fait son cheminement personnel, elle ne va pas assumer. Elle s’exprimera peu franchement, préfèrera taire son handicap et vous demandera les choses de façon inadaptée.

L’association essaye de répondre au mieux aux besoins des personnes. Ils sont tous différents mais une fois définis avec l’intéressé, des solutions concrètes s’offrent à lui basées sur l’écoute, les aides techniques, l’orientation vers les formations, études ou professions adéquates …

L’association dispose de 3 400 bénévoles, quelle qualification faut-il avoir pour aider les personnes ayant ce handicap ?

Tous les bénévoles sont les bienvenus quelles que soient leurs compétences. Nous avons autant besoin d’accompagnement humain adapté aux personnes handicapées (sportif, culturel, randonnée…) que de personnes volontaires pour nous enregistrer des livres. Aucune de ces activités ne suppose d’ailleurs d’avoir des qualifications particulières.

Nous avons aussi des besoins en postes plus qualifiés demandant des compétences en informatique, communication, gestion financière et comptable…

Parlez-nous de vos actions de terrain dans les écoles et les entreprises

Nous menons de plus en plus d’activités de sensibilisation dans les écoles et les entreprises avec une forte volonté de monter en gamme. A cet égard nos bénévoles sont aujourd’hui formés pour représenter de manière qualitative la cause dans les entreprises. Ces dernières nous réservent d’ailleurs le meilleur accueil et nous rémunèrent nos services.

Malheureusement, notre déficit de notoriété fait que les entreprises ne pensent pas forcément à nous. Seules quelques-unes nous sollicitent spontanément quand la majorité fait l’objet d’un démarchage.

Vous nous avez dit compter autant de déficients visuels que de voyants, est-ce que cette organisation fait partie de votre ADN ?

Oui. Faire appel à des aveugles et à des malvoyants est constitutif de l’association. Statutairement Valentin Haüy est une association qui, d’une part, est composée de bénévoles et d’autre part, fonctionne selon le principe de parité. Le conseil d’administration, le bureau, le personnel se composent par moitié de déficients visuels et par moitié de voyants. Nous avons besoin de l’expérience des déficients visuels pour accueillir au mieux les bénéficiaires. Les voyants quant à eux, apportent toute leur compétence et leur vécu professionnel.

Que proposez-vous pour faciliter l’accès à la culture (lecture, écriture mais également accès aux arts vivants) des personnes en situation de handicap visuel ?

C’est un axe fort de notre action, à commencer par l’accès à la lecture. Nous possédons la plus grande médiathèque de France. Elle contient 70 000 ouvrages adaptés en braille, vocal ou sonore et nous permet de réaliser environ 290 000 prêts à l’année. Nous travaillons avec 400 bibliothèques publiques qui nous aident dans la diffusion.

L’association travaille aussi sur la réalisation d’œuvres en relief ainsi que sur leur audio description.

En ce qui concerne les spectacles vivants maintenant, nous laissons le soin à l’association « Accès Culture » – qui s’est excellemment positionnée sur le sujet – de mettre en place des services d’accessibilité pour les déficients visuels.

Enfin, nos Comités départementaux organisent très fréquemment des sorties culturelles en groupe (visites de musée, sorties au théâtre ou à l’opéra).

Déficience visuelle et vieillesse vont souvent de pair, quelles sont les solutions pour aider les personnes âgées à rester autonome ? Et quels sont vos liens avec les pouvoirs publics, notamment les Départements à ce sujet ?

Schématiquement 60% des déficients visuels ont plus de 60 ans. Il n’existe pas de rapport sociologique sur le handicap visuel, ce qui fait que nous n’avons pas vraiment de chiffres précis mais juste des estimations. Plusieurs associations dont Valentin Haüy se sont regroupées pour lancer une grande étude (étude Homère) qui devrait s’achever dans un an. A ce moment-là nous aurons des résultats précis sur la déficience visuelle chez les personnes âgées ainsi que sur les difficultés rencontrées qui nous permettront d’adapter nos actions.

Nous savons quand même que le handicap sensoriel intervient plus fréquemment chez les personnes âgées que le handicap cognitif. On estime qu’il existe 2 fois plus de déficients visuels chez les personnes âgées que de personnes qui subissent des maladies telles Alzheimer. C’est assez paradoxal car les médias parlent infiniment plus d’Alzheimer.

Pour ce qui est de notre intervention, nous interagissons beaucoup avec les départements mais nos moyens d’actions dépendent aussi de la sensibilité du département. Nous faisons partie de commissions d’accessibilité bien trop connotées « handicap » et pas tellement « social et personnes âgées ». Ce sont souvent 2 directions différentes qui s’occupent de ces sujets. Le Vice-Président du département chargé du handicap est rarement celui en charge des personnes âgées. S’ils travaillent en silo, il n’y aura pas forcément de lien entre les 2. Nous essayons de créer ce lien mais ce n’est pas toujours évident et dépend des priorités des élus.

Une autre difficulté réside dans le fait qu’une personne âgée qui présente soudainement un handicap visuel n’est pas reconnue au-delà de 60 ans. Elle n’a pas le droit à une allocation handicap, ni à une carte d’invalidité puisque les pouvoirs publics considèrent qu’elle relève de l’APA. Les personnes âgées ayant un handicap visuel ne le déclarent donc pas ce qui rend la prise en charge souvent inadaptée.

Autre écueil, il existe des départements où les MDPH s’appuient volontiers sur notre expertise et d’autres où elles veulent monter en compétence. Elles recrutent alors elles-mêmes les ergothérapeutes qui pour certains ne connaissent rien au handicap visuel. De plus en plus elles ont cette logique de vouloir devenir autonomes et donc font de moins en moins appel à notre expertise et nos formations.

Comment vous financez-vous ? Quelle est la part entre aides publiques et aides privées ?

La partie médico-sociale est en majorité financée par l’argent public. Seule la partie concernant les entreprises adaptées nous incombe en quasi-totalité.

La partie associative quant à elle est financée par la générosité.

Vous avez choisi la labellisation « Don en Confiance », qu’est-ce que l’accompagnement des contrôleurs du Don en Confiance apporte à votre organisation ?

Les contrôleurs nous apportent un regard extérieur nous permettant d’évoluer. Ils nous stimulent pour être toujours plus transparents, afin d’assurer la confiance avec nos donateurs. Sous leur impulsion, nous avons renforcé nos contrôles internes et avons d’ailleurs depuis recruté un auditeur interne.

Pourquoi l’existence d’une association de contrôle est-elle nécessaire pour le secteur associatif ?

Maintenir le niveau d’exigence et donner confiance aux donateurs.

Quel chemin avez-vous parcouru depuis votre labellisation ?

Un long chemin en termes de process et fonctionnement. Nous avons mis en place des contrôles ainsi qu’une cartographie des risques pour être mieux structurés. Opérationnellement, nous sommes désormais plus transparents dans notre communication auprès des donateurs et faisons remonter des indicateurs de bonne gestion.

Quelques mots sur votre actualité…

Nous lançons ces jours-ci une grande campagne sur la malvoyance pour mieux nous faire connaître. Nous sommes conscients d’avoir un vrai défi à relever sur le plan de la notoriété.

Nous sommes également à l’origine d’une campagne de communication autour de la rentrée littéraire. Cette année nous avons réussi à négocier avec les éditeurs pour avoir les fichiers des livres bien en amont et avons ainsi pu adapter 300 ouvrages qui seront disponibles dans notre médiathèque le même jour que leur sortie en librairie.

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