Paroles d’organisation

Orso Chetochine – Directeur général de Mécénat Chirurgie Cardiaque

Organisation non gouvernementale spécialisée dans la chirurgie cardiaque pédiatrique, Mécénat Chirurgie Cardiaque – Enfants du Monde permet à des enfants souffrant de malformations cardiaques de venir en France et d’être opérés lorsqu’ils ne peuvent être soignés dans leur pays d’origine par manque de moyens financiers et techniques. Rencontre avec Orso Chetochine, directeur général de l’association.

Nous avons fêté en décembre notre 3.500ème prise en charge d’un enfant depuis la création de Mécénat Chirurgie Cardiaque en 1996. Certains diront que c’est beaucoup, d’autres peu mais il faut savoir que nous avons commencé avec pas grand-chose. Nous sommes donc plutôt fiers aujourd’hui d’avoir pu aider tous ces enfants.

Parlez-nous de Mécénat Chirurgie Cardiaque, quelles sont ses origines et missions ?

Mécénat Chirurgie Cardiaque a été créée par la Professeure Francine Leca, première femme chirurgien cardiaque pédiatrique. Alors qu’elle était en mission à l’étranger, elle reçoit un jour la lettre extrêmement émouvante d’un papa syrien qui lui demande de l’aide pour son enfant malade. Son premier réflexe fut alors de s’entretenir avec la direction de l’Hôpital où elle pratiquait pour solliciter cette intervention. La réponse fut que pour opérer il fallait de l’argent et que tout le monde n’était pas en mesure d’être opéré. C’est à partir de là qu’elle décide de créer l’association et ainsi de venir en aide aux plus démunis.

Mécénat Chirurgie Cardiaque a vu le jour en 1996 et ses missions consistent à faire venir en France des enfants qui ont une malformation cardiaque congénitale, les opérer, les renvoyer chez eux et les suivre à vie. C’est aussi simple que ça !

Il faut savoir qu’1 enfant sur 100, quelle que soit son origine, naît avec une malformation cardiaque. Dans les pays très développés ces enfants sont pris en charge bien sûr mais pour des raisons de coûts et de connaissances techniques, beaucoup de pays n’ont pas de solutions face à ces pathologies. En créant l’association l’idée était donc de dire que s’il s’agissait juste d’argent, nous trouverions des solutions pour les faire venir en France, là où ils sont à même d’être le mieux opérés. Notre rôle est de leur offrir la même qualité de soin que celle dont bénéficient nos enfants.

Depuis la création de l’association combien d’enfants ont-ils fait l’objet d’une prise en charge ?

Exactement 3.500. On a fêté en décembre le 3.500ème enfant pris en charge. Certains diront que c’est beaucoup, d’autres peu mais il faut savoir que nous avons commencé avec pas grand-chose. Nous sommes donc plutôt fiers d’avoir pu aider tous ces enfants depuis notre création.

D’où viennent ces enfants et comment l’association a-t-elle connaissance des cas ?

Les enfants pris en charge peuvent venir du monde entier. Au début beaucoup étaient issus des pays de l’Est mais de fil en aiguille ces pays se sont développés, les médecins se sont formés. Aujourd’hui nos enfants arrivent principalement des pays les plus pauvres du Monde, notamment d’Afrique.

Pour ce qui est de la connaissance des cas, depuis plus de 20 ans maintenant nous sommes identifiés comme spécialistes de la chirurgie cardiaque infantile. Les médecins locaux font donc assez naturellement appel à nous.

Comment déterminez-vous l’urgence pour que tel ou tel enfant subisse ou non une opération chirurgicale ?

Nous avons initié un protocole permettant aux médecins locaux de nous envoyer les dossiers des enfants souffrant d’une pathologie cardiaque. Nous recevons beaucoup de dossiers, plus ou moins bien renseignés. Les dossiers nous arrivent de plus en plus complets toutefois, MCC ayant en parallèle contribué à la formation de nombreux médecins sur le sujet. La technologie permet beaucoup aussi, notamment de consulter à distance les fichiers des échographies. Nous sommes donc en mesure de constater l’état de l’enfant, s’il faut l’opérer ou s’il vaut mieux attendre un peu.

Notre staff comprend des médecins, des cardiologues, des chirurgiens qui se réunissent tous les mardis pour étudier, analyser, discuter. Une fois l’urgence constatée, la décision s’impose d’elle-même. Mais avant de faire faire ce grand voyage à un enfant, nous nous assurons donc toujours au préalable que ce que l’on va lui apporter est mieux pour lui en pesant le « pour » et le « contre » en fonction de tous les critères d’analyse en notre possession.

Quelles sont les étapes d’une prise en charge du moment où la gravité de la pathologie est avérée jusqu’au retour de l’enfant dans son pays d’origine ?

Après avoir vu un spécialiste dans son pays d’origine qui nous transmet le dossier de l’enfant et une fois l’équipe de Mécénat Chirurgie Cardiaque convaincue qu’il est nécessaire de réaliser l’opération, il faut s’assurer que l’enfant est bien déclaré et lui faire faire passeport et visa. Des bénévoles sur place ainsi que le consulat nous aident pour cette évacuation sanitaire d’un enfant non accompagné. Nous nous chargeons ensuite d’acheter le billet d’avion, de programmer le convoyeur d’Aviation sans frontières qui va le chercher, de trouver la famille d’accueil et de prévoir la place opératoire dans les hôpitaux. Une fois tous les feux au vert, nous faisons venir l’enfant pour l’opération.

Il y a donc d’abord une phase médicale suivie d’une phase administrative, puis d’une phase de transport et enfin une phase d’accueil / parcours de santé.

Tout cela est huilé comme une horloge sachant qu’il n’existe que des cas particuliers, des histoires fortes, touchantes, différentes.

Avec quels hôpitaux travaillez-vous ?

Avec les hôpitaux qui font de la chirurgie cardiaque pédiatrique et il n’y en a pas tant que cela en France. Comme nous ne faisons que de la chirurgie cardiaque pédiatrique, nous sommes les derniers à prendre des cas dits « complexes » de chirurgie lourde. Les villes concernées sont Angers, Nantes, Tours, Bordeaux, Toulouse, Marseille, Lyon, Strasbourg et Paris. Nous avons négocié avec les hôpitaux un certain nombre de places opératoires à l’année et en fonction du nombre d’enfants qui arrivent, en fonction des familles d’accueil disponibles et même en fonction de la capacité de l’enfant à refaire un voyage pour se rendre en province, nous choisissons l’hôpital le plus approprié qui se chargera de l’opération de l’enfant.

Pouvez-vous nous dire combien coûte une intervention chirurgicale et plus globalement la prise en charge d’un enfant ?

L’opération d’un enfant coûte 12.000 euros. C’est un prix forfaitaire. MCC fait appel à la générosité du public essentiellement sur ce volet. Lorsqu’on y inclut tout le travail pour le faire venir et l’accueillir, il faut ajouter 6.000 euros.

La prise en charge globale revient donc à 18.000 euros, ce qui représente une somme mais bien moins conséquente que la somme réelle de la prise en charge d’un résident. Les chirurgiens proposent alors un parcours de soin très court par rapport à la prise en charge d’un enfant français.

Comment vous financez-vous ? Quelle est la part de la générosité du public dans votre financement et obtenez-vous des subventions ?

60% par les entreprise et 40% le public. Nous n’obtenons aucune subvention, ce n’est pas dans notre état d’esprit. Nous préférons agir plutôt qu’attendre. Nous ne marchons pas non plus au mailing. Nous nous inscrivons surtout dans de nombreux événements qui nous rapportent beaucoup d’argent. Nous sommes une petite association connue par les gens qui nous suivent et nous sont très fidèles. Nous avons un maître mot chez Mécénat c’est le qualitatif. Nous préférons faire peu mais bien. De la même manière, pas besoin d’être connu de tout le monde, l’essentiel c’est la confiance, l’intérêt et la présence que nous accordent ceux qui nous suivent.

Depuis quand êtes-vous labellisé Don en Confiance et quelle est la raison de ce choix ?

Mécénat Chirurgie Cardiaque est labellisée depuis 1 an. Nous avons fait ce choix pour 2 raisons. La première, parce qu’un de nos principaux mécènes nous l’a imposé dans le bon sens du terme, c’est-à-dire en vue d’être plus performant. La deuxième parce que nous avions de plus en plus de demandes d’initiatives citoyennes en notre faveur et beaucoup de mal à gérer la probité de ces demandes. On avait donc besoin d’avoir un label qui nous permette de dire à ces gens qu’il existe des règles « Don en Confiance » et que toute implication suppose application de ces règles. La labellisation nous a ainsi permis de dire « oui » à plus de personnes tout en respectant un cadre nécessaire.

Du coup que vous apporte Don en Confiance dans votre relation avec le donateur ?

Le Don en Confiance m’a d’abord permis d’optimiser les relations avec mes collaborateurs. Cela devenait important pour eux de mettre en place des process toujours contraignants au départ mais générant plus de confort une fois établis.

En interne cette progression nous a permis de dire à tout le monde que nous allions changer de dimension, encore une fois dans le bon sens du terme. Que notre association ne perdrait ni en qualité, ni en valeur mais que nous allions mettre des codes, des normes pour plus de professionnalisation. Et finalement cela a été très bien apprécié. Nous avons fait en sorte que ce label soit partagé par tous.

Maintenant et pour ce qui est des donateurs réguliers de Mécénat, nous n’avons pas besoin d’être labellisés pour qu’ils nous fassent confiance. En revanche nous avons conscience que cela peut inspirer confiance au public et rassurer les entreprises partenaires. 

Parlez-nous de vos bénévoles, quels sont leurs profils ?

Mécénat Chirurgie Cardiaque a plein de bénévoles. L’avantage chez Mécénat c’est que nous sommes une association très joyeuse. Nous n’avons pas eu de problème de vie. Nous avons au contraire conscience de notre chance et avons envie de partager cette chance. Il y a donc très peu de gens qui viennent chez Mécénat parce qu’ils ont eu un problème au cœur ou ont perdu un enfant. Ce ne sont que des gens qui avaient envie de faire quelque chose, qui cherchaient une association pour s’investir.

Il y a les bénévoles chargés de l’administratif (saisie des chèques, des dossiers médicaux…). Ils viennent une ou deux fois par semaine dans les locaux pour nous aider.

Ensuite il y a les bénévoles sur les événements auxquels nous participons ou que nous produisons. Par exemple lorsque nous faisons notre marché de Noël, 140 bénévoles nous rejoignent pour l’occasion. Quelques-uns de manière ponctuelle, d’autres sont des bénévoles qui nous accompagnent en continu.

50% de ce que fait Mécénat Chirurgie Cardiaque est fait par les bénévoles. C’est énorme ! Nos mécènes apprécient beaucoup que l’on ait des bénévoles.

Enfin il y a les « familles d’accueil », bénévoles également mais bénévoles de haute volée. L’association compte à ce jour 350 familles d’accueil. Ces familles ont la charge d’accueillir un enfant qui reste exactement 2 mois sur le territoire. Ce qui signifie qu’il faut que dans la famille quelqu’un soit disponible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 pendant la durée du séjour.

La famille d’accueil, c’est Monsieur et Madame « Tout le Monde ». Ce sont plutôt des retraités mais il y a aussi des profils de mamans ayant leur troisième enfant et un long congé de maternité, des foyers avec futur projet de départ en province…enfin bref, il y a de tout !

Combien d’enfants sont susceptibles d’être accueillis par une famille d’accueil dans une année civile ?

Une de nos familles accueille 4 enfants dans l’année. C’est exceptionnel bien sûr. Généralement c’est 1 enfant dans l’année. Nous pouvons monter à 2 quand vraiment nous sommes dans une impasse mais c’est assez rare.

Comment se déroule la prise en charge de l’enfant par les familles d’accueil ?

Les familles se chargent de l’accueil du début à la fin. Elles viennent chercher l’enfant à l’aéroport et le ramènent à l’aéroport. Entre temps, elles font absolument tout avec l’enfant comme si c’était le leur.

Ont-elles une relation à distance avec la famille de sang pendant le séjour de l’enfant ?

Il est interdit aux familles d’accueil de communiquer avec la famille de sang pendant le séjour. La famille d’accueil communique avec l’équipe Mécénat Chirurgie Cardiaque qui se charge alors d’être le relais auprès de la famille de l’enfant.

Une fois l’enfant retourné dans son pays d’origine en revanche, les familles font comme elles le sentent. Certaines ont eu un feeling très spécial avec l’enfant et veulent garder contact, d’autres préfèrent casser le lien, être juste une parenthèse dans cette période de vie de l’enfant qu’elle considère comme douloureuse.

Et Mécénat Chirurgie Cardiaque, continue-t-elle à suivre l’enfant ?

Oui. Nous en revanche conservons autant que faire se peut le lien avec tous ces enfants. Certains peuvent rompre le contact mais sur les 3.500 enfants qui sont passés par Mécénat, nous assurons le suivi de 88%. Un permanent chez nous appelle une fois par an pour avoir des nouvelles, savoir si l’enfant va à l’école, s’il se marie, ce qu’il devient. Quelques enfants doivent revenir parfois pour une deuxième opération. Donc oui nous restons en contact !

L’association propose également un système de parrainage des études de l’enfant. Nous parrainons aujourd’hui 350 enfants. C’est une manière aussi de suivre l’enfant.

Mécénat Chirurgie Cardiaque a fait de la formation son cheval de bataille en développant des projets liés à la e-santé destinés à former en cardio pédiatrie les médecins locaux, pouvez-vous nous en dire plus sur ces projets ?

C’est très simple. Pour bien soigner les enfants, il faut savoir les diagnostiquer. L’erreur de diagnostic est la 3eme cause de mortalité aux USA. Je n’ai pas les chiffres pour la France mais cela doit être du même acabit.

Au début de notre démarche, nous recevions beaucoup de dossiers imprécis. Ces lacunes nous ont décidé à faire venir les médecins des capitales en France pour les former. Nous trouvions un mécène qui leur offrait l’hôtel, la RATP leur payait la Navigo. Ils venaient et repartaient formés à la cardio pédiatrie en 1 mois.  

En 10 ans, 140 médecins ont été formés ainsi.

Puis nous avons voulu élargir le champ des possibles et former d’autres médecins plus en retrait des capitales. L’objectif n’est pas qu’ils deviennent cardio pédiatres mais que leur diagnostic soit plus professionnel et précis. Pour se faire nous avons mis en place des modules de formation à distance (e-learning).

C’est ainsi qu’est née notre formation gratuite en mobile learning appelée « 5 sur 5 » (c’est-à-dire comme à l’armée « fort et clair »).

Notre formation à la cardio pédiatrie consiste à proposer l’essentiel pour ne pas faire un mauvais diagnostic. Il ne s’agit pas ici de faire de ces médecins des champions de la discipline mais juste de leur permettre de mieux comprendre la pathologie à laquelle ils ont à faire et de la diagnostiquer au mieux.

Pour une petite association comme la nôtre, développer cette formation a représenté 2 ans de lutte et de bataille. Nous sommes donc très fiers aujourd’hui de sa mise en place qui date du début du confinement. En 1 mois ½ nous avons déjà pu former 100 médecins avec des retours fantastiques.

Nous nous sommes fait offrir également par Philipps des tablettes qui permettent de faire des échographies à partir d’un Iphone ou d’un Ipad. Grâce à ces tablettes, le médecin peut directement ausculter l’enfant au moyen d’une sonde sans besoin d’électricité. Les fichiers intégrés dans la tablette peuvent ensuite nous être envoyés dès connexion wifi, ce qui permet de gagner en temps, en précision et qualité.

Comment vivez-vous la crise actuelle liée au coronavirus ? J’imagine que vos interventions s’en trouvent limitées ou différées. Comment préparez-vous l’avenir ?

Au début de la crise nous avons essayé de faire repartir tous les enfants possibles. Nous avons réussi à faire repartir pas mal d’enfants de plus de 6 ans susceptibles de voyager sans Aviation sans Frontières. A l’heure actuelle 35 enfants, trop petits pour repartir ou pas suffisamment guéris, sont encore en France dans les familles d’accueil.

Pour le reste, sans possibilité de prendre l’avion plus aucun enfant n’arrive pour se faire soigner. Nous recevons toujours les dossiers bien sûr, nous les étudions, mais nous attendons la réouverture des vols et des frontières. Une centaine d’enfants sont en attente mais il est important de les faire venir dans de bonnes conditions.

De notre côté, nous sommes prêts à redémarrer au plus tôt.

Pour finir pouvez-vous nous dire quelques mots sur Francine Leca à l’origine de Mécénat Chirurgie Cardiaque ?

Tout d’abord Francine Leca est ma maman. Je pourrais en parler des heures. C’est une dame qui a quelque chose d’incroyable : son optimisme. Vous pouvez lui proposer n’importe quoi, elle est toujours partante. Même à 82 ans, elle a toujours sa tablette, ses outils numériques et pendant le Covid elle s’active à faire ses Petits topos du Pr. Leca.

J’ai rarement vu quelqu’un de si optimiste, qui aime autant la vie. Elle a l’art aussi de s’occuper des gens. Vous ne la dérangez jamais. Elle est juste géniale. Son enthousiasme, son énergie, elle a su les insuffler et en faire la force de notre association.

Au départ c’est elle qui opérait les enfants. Mais depuis 4 ans, elle n’opère plus. Physiquement cela devenait compliqué. L’histoire veut d’ailleurs qu’elle n’ait jamais opéré son dernier enfant.  Elle devait le faire avant d’arriver en fin de carrière mais il se trouve que le petit a eu un rhume nécessitant de repousser l’opération.

Ne plus opérer l’a d’abord angoissée mais finalement elle s’est rabattue avec entrain sur d’autres problématiques, par exemple celle de créer toutes les formations 5/5. Elle est d’un dynamisme incroyable et je vous assure que j’ai beaucoup de mal à la retenir pendant cet épisode épidémique.

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